Kharkiv subira-t-elle le même sort que Marioupol? On se souvient du spectacle affreux, en mai 2022, du port ukrainien dévasté, laminé sous les tapis d'obus, de missiles et de bombes russes. Marioupol, ville martyre, dont l'épilogue des combats s'est joué sous terre, dans l'immense complexe sidérurgique d'Azovstal, où se terraient les derniers combattants ukrainiens.
Pourquoi faire ce parallèle entre les deux villes, alors que la seconde métropole d'Ukraine est bien mieux défendue, et que les avant-postes russes sont encore loin de ses faubourgs – à environ quarante kilomètres pour les unités qui ont le plus progressé ces derniers jours? Parce que la stratégie de l'armée de Vladimir Poutine est connue, et qu'elle n'a pas changé après deux années de guerre en Ukraine. D'abord forcer le front pour s'approcher le plus possible des villes ukrainiennes stratégiques. Puis les aplatir sous un tapis de bombes, au risque de commettre des crimes de guerre, en bombardant des cibles civiles.
C'est ce qui s'est passé ce samedi 25 mai, lorsqu'une frappe a dévasté un supermarché de bricolage. Plus de 200 personnes s'y trouvaient au moment du bombardement. Le magasin était au cœur d'un quartier dortoir. La volonté de semer l'effroi était donc manifeste du côté des assaillants.
Vagues humaines de soldats
La peur, à Kharkiv, n'est pas celle d'une offensive russe menée par des vagues humaines de soldats qui se rueraient à l'assaut de ses défenses, renforcées depuis des mois. Elle porte sur ce qui peut tomber du ciel. La métropole est sans cesse, depuis le début de l'année, pilonnée par des drones ou des missiles que sa défense antiaérienne ne parvient pas à stopper. Or l'avancée russe de ces derniers jours a permis le déploiement de batteries d'artillerie très dangereuses pour Kharkiv.
Cette fois, ce sont deux bombes planantes qui ont dévasté le supermarché. Ces engins, largués par avion, comportent des ailettes qui leur permettent d'atteindre leurs cibles à plus grande distance, sans mettre les appareils largueurs à portée des missiles sol-air de la défense ukrainienne. Or les bombes planantes frappent de façon indiscriminée. Elles terrorisent les unités ukrainiennes déployées sur le front. Leur but n'est pas de détruire une cible, mais d'aplatir un territoire et de le vider de ses défenseurs, ou de sa population qui se retrouve contrainte de fuir.
Bombes planantes
Ces frappes à coups de bombes planantes et d'artillerie peuvent-elles entrainer des crimes de guerre? La réponse est oui. L'hypermarché «Sadovy Tsentr», visé par les Russes, avait une surface de 10'000 mètres carrés qui a aussitôt pris feu. Impossible de ne pas faire la comparaison avec la frappe de l'armée serbe de Bosnie, en février 1994, sur un marché de Sarajevo assiégé. 68 personnes avaient trouvé la mort il y a tout juste trente ans. Cette frappe était devenue le symbole du martyre de la ville.
L'OTAN avait alors intimé aux forces serbes de repousser leur artillerie et leurs mortiers. La frappe de Sarajevo avait marqué un tournant dans la perception du conflit. Bien plus tard, au début des années 2000, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) avait conclu à la culpabilité de l'armée serbe, condamnant deux de ses officiers supérieurs.
Aux mains des forces russes en 2022
Il faut se souvenir que Kharkiv a failli tomber aux mains des forces russes au début de la guerre. La contre-offensive réussie de l'armée ukrainienne, en octobre 2022, avait repoussé celles-ci. Mais le manque d'armes et de munitions a, depuis quelques mois, fragilisé le front dans cette zone nord où l'armée russe a décidé d'exercer sa principale percée. Il faut avoir en tête, aussi, que les autorités ukrainiennes de Kharkiv redoutent la présence dans la ville d'espions russes capables de guider d'éventuelles frappes.
Le siège de cette ville est, de toute façon, engagé, même s'il se déroule encore à distance. Et la population civile est partie pour en payer le prix fort.