Une stratégie bien rodée
Pourquoi Poutine serait-il prêt à mettre fin à la guerre en Ukraine?

Vladimir Poutine veut geler la guerre en Ukraine. Non seulement ce serait une catastrophe pour l'Ukraine, mais ça pourrait aussi déclencher une guerre froide dans toute l'Europe. Analyse.
Publié: 25.05.2024 à 05:58 heures
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Dernière mise à jour: 25.05.2024 à 09:41 heures
Vladimir Poutine en aurait assez de la guerre.
Photo: keystone-sda.ch
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Samuel Schumacher

Vladimir Poutine voudrait mettre fin à la guerre en Ukraine et geler les frontières du front actuel. C'est ce que confirment quatre sources russes de haut niveau à l'agence de presse Reuters. Il voudrait éviter à tout prix une énième vague de mobilisation. Sans ressources militaires supplémentaires, il ne pourrait plus réaliser de progrès significatifs. Il pense en outre qu'il pourrait faire passer les victoires remportées sur le front pour un triomphe aux yeux des Russes.

La nouvelle tombe de nulle part, plus de deux ans après l'invasion de l'Ukraine par la Russe. La situation sur le champ de bataille est loin d'être mauvaise pour les Russes. Ils ont déjà conquis 18% du territoire ukrainien et ont récemment fait des progrès importants près de Kharkiv, la deuxième plus grande ville du pays. Alors qu'est-ce qui pousse le président russe à parler de cessez-le-feu?

Pour commencer, ce que Poutine propose aujourd'hui se distingue significativement des offres de négociation hypocrites que Moscou a régulièrement soumises à l'Ukraine ces derniers mois. Un cessez-le-feu le long du front actuel entraînerait un arrêt complet des hostilités, au moins temporairement. Cela équivaut à la situation qui règne aujourd'hui dans la péninsule coréenne, où la Corée du Nord et la Corée du Sud se font face. Ils se regardent en chien de faïence, mais sans tirs réels depuis l'armistice conclu en 1953.

Pourquoi Volodymyr Zelensky n'acceptera pas la proposition?

Selon les théories de guerre classiques, un cessez-le-feu ne devient une option valable que lorsqu'aucun des deux belligérants n'est en mesure de remporter de victoires par des moyens militaires. Moscou et Kiev en sont pourtant loin. L'Ukraine est d'ailleurs sur le point de recevoir des armes américaines d'une valeur de 61 milliards de dollars dans les mois à venir.

Mais la volonté de Vladimir Poutine étonne encore pour une autre raison: les quatre provinces Kherson, Zaporijjia, Donetsk et Lougansk, que la Russie a officiellement déclarées territoires russes en septembre 2022 – dans une décision contraire au droit international –, ne sont pas encore complètement conquises militairement. Autrement dit, si Vladimir Poutine veut maintenant baisser les armes, cela reviendrait à admettre qu'il n'a même pas le contrôle des nouvelles provinces russes qu'il revendique pourtant.

Mais l'Ukraine n'acceptera pas la proposition de Moscou. Volodymyr Zelensky ne fumera pas le calumet de la paix avec Vladimir Poutine. Le président ukrainien l'a dit et redit. Son plan de paix en dix points, dont il sera d'ailleurs question lors de la conférence de paix au Bürgenstock (NW) à la mi-juin, est très clair: sans le retrait de toutes les troupes russes de l'ensemble du territoire ukrainien (y compris la Crimée), aucune négociation ne sera menée avec Moscou. En 2022 encore, Volodymyr Zelensky a légalement interdit toutes négociations avec la Russie avant une victoire militaire.

Pour l'Europe, ce serait le retour de la guerre froide

Un cessez-le-feu le long du front actuel, qui traverse le territoire ukrainien, conduirait à un conflit gelé. Aucune paix stable et aucun rapprochement entre voisins ne pourrait alors avoir lieu. Un peu d'imagination: que se passerait-il si la chef du gouvernement italien Giorgia Meloni conquérait le Tessin avec son armée et proposait ensuite à la présidente de la Confédération Viola Amherd une trêve devant l'embouchure du tunnel du Gothard? Est-ce que quelqu'un en Suisse l'accepterait?

Au Forum économique mondial (WEF) de Davos, Volodymyr Zelensky a déclaré en janvier, en évoquant le risque d'un conflit gelé: «Poutine ne se contente pas de produits congelés, jamais.» Si Poutine demandait un cessez-le-feu, ce ne serait que pour reformer ses troupes affaiblies et repartir à l'assaut avec des forces reposées. Un conflit gelé en Ukraine ne serait donc pas seulement un énorme boulet pour le pays attaqué lui-même. Pour le reste de l'Europe aussi, la situation resterait extrêmement tendue pendant des années, voire des décennies. Pour nous tous, ce serait le début d'une nouvelle guerre froide.

L'expert militaire ukrainien Yevhen Semekjin déclare à Blick: «Il n'y aura pas de trêve. Les Russes ne tiennent jamais parole. Nous le savons depuis la conquête de la Crimée en 2014.» Que ceux qui croient Vladimir Poutine naïvement se souviennent de février 2022, lorsqu'il avait encore murmuré quelques jours avant l'attaque qu'il n'envahirait jamais l'Ukraine.

La proposition de Vladimir Poutine n'obligera pas Kiev à s'arrêter. En Occident, cependant, où la solidarité initialement ininterrompue avec l'Ukraine perdure depuis longtemps et où plusieurs chefs de gouvernement – dont le Hongrois Viktor Orban et le Premier ministre slovaque Robert Fico – réclament une fin de la guerre rapide, la nouvelle proposition pourrait susciter davantage de ressentiment à l’égard de l’Ukraine, qui continue à se battre. La pression sera évidemment d'autant plus forte si le républicain Donald Trump remporte les élections américaines en novembre.

Le président chinois Xi Jinping est-il derrière tout ça?

Reste la question de savoir pourquoi Vladimir Poutine veut justement maintenant mettre les armes au repos et mettre fin à la guerre. La situation sur le champ est d'ailleurs différente. La peur d'avancements importants du sommet suisse du Bürgenstock, qui pourrait mettre la pression sur Moscou, n'y est sans doute pas pour rien. La dernière explication qui reste, c'est que le président chinois Xi Jinping a parlé les yeux dans les yeux au président russe, lorsque ce dernier était en visite d'Etat à Pékin en début de semaine.

Sans le soutien de la Chine, le chef du Kremlin aurait été mis en échec en un rien de temps. Et Xi Jinping revenait justement de son voyage en Europe, pendant lequel il a notamment rendu visite au président français Emmanuel Macron. Ce dernier est actuellement le plus fervent partisan de l'Ukraine. Il semble d'ailleurs évident que les deux hommes ont abordé la question de la guerre lors de leur dîner à Paris. Macron a-t-il réussi à convaincre Xi Jinping? Et ce dernier a-t-il fait savoir à Vladimir Poutine qu'il le laisserait bientôt tomber, malgré l'«amitié éternelle» factice entre les deux pays?

Il n'y a pour l'instant rien de plus que des spéculations sur les raisons du revirement le plus surprenant du président russe depuis le début de la guerre. Une seule chose est sûre: l'Ukraine ne se laissera pas berner par la Russie.

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