Il le répète sans cesse depuis le 24 février 2022. Pour Vladimir Poutine, l’armée russe est aujourd’hui, en Ukraine, en train de rééditer l’exploit de l’armée rouge qui, le 9 mai 1945 à Berlin, acceptait la capitulation de l’Allemagne nazie. L’armée de l’ex-Union soviétique (URSS) affichait alors à son tragique compteur 8,6 millions de soldats morts, selon les chiffres des historiens russes.
Problème: tout est faux dans cette affirmation et dans cette filiation que le président russe, investi mardi 7 mai pour un nouveau mandat de six ans, va sans doute réitérer lors de la commémoration de la victoire sur les troupes hitlériennes. Voici pourquoi.
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L’armée russe de 2024 n’a pas été attaquée
C’est une différence de taille. Elle dit l’énormité du mensonge proféré par Vladimir Poutine. Le 24 février 2022, la Russie a lancé contre l’Ukraine une guerre d’annexion destinée à conquérir des territoires qui ne lui appartenaient pas. Sur ce plan, la Russie poutinienne de 2024 ressemble beaucoup plus à l’Allemagne hitlérienne qui saisissait tous les prétextes pour agrandir son lebensraum, son espace vital, au détriment de ses voisins.
Impossible donc de comparer les deux épisodes historiques. La victoire du 9 mai 1945 (que les Occidentaux, eux, commémorent le 8 mai, date de la capitulation allemande signée à Reims) est celle d’un pays en armes qui a résisté à un occupant qui voulait le détruire et le faire disparaître. L’opération Barbarossa lancée par Hitler le 22 juin 1941 visait à prendre le contrôle de l’immense URSS et de ses ressources naturelles. Si l’on applique cette grille de lecture, la Russie d’aujourd’hui a déclenché une guerre pour les mêmes raisons, même si le Kremlin prétend que l’OTAN menaçait sa sécurité.
L’armée russe de 2024 est en échec
Si l’on doit, encore une fois, comparer les deux époques, alors le verdict de l’histoire est terrible pour la Russie. Après deux ans de guerre, et même si le front Ukrainien est aujourd’hui sous pression, l’armée de Poutine n’a ni réussi à prendre Kiev, ni pris le contrôle de la majorité du territoire de l’Ukraine. La Russie se retrouve, en somme, en moins bonne position que la Wehrmacht nazie après deux ans de conflit.
En février 1943, Hitler perd la fameuse bataille de Stalingrad après huit mois de combats acharnés, mais son armée contrôle encore une grande partie du territoire de la Russie occidentale. Il faudra attendre avril-mai 1944 pour que l’armée rouge libère la Crimée. Kiev, la capitale ukrainienne, fut en revanche reprise par les troupes de Staline en novembre 1943. 2024, en comparaison, voit l’armée russe toujours bloquée dans sa progression.
L’armée russe de 2024 n’est pas une armée populaire
Le 9 mai 1945, l’armée victorieuse des nazis est celle d’un peuple en marche. L’URSS est une dictature féroce dirigée depuis 1929 par Joseph Staline, alias «le petit père des peuples». Mais c’est tout le peuple Soviétique qui se bat, au prix d’effroyables pertes: plus de 27 millions de Soviétiques, civils et militaires, sont morts entre 1939 et 1945. L’armée rouge, c’est alors toute l’URSS, toutes les nationalités, et toutes ses composantes sociales.
En 2024, rien de tout ça: les soldats russes déployés en Ukraine sont, pour l’essentiel, des recrues et des conscrits des classes populaires et des Républiques lointaines, où la carrière militaire est considérée comme un ascenseur social et une garantie de revenus. La propagande du pouvoir de Poutine s’efforce, bien sûr, de dire le contraire. Les faits, en revanche, sont têtus: les milices comme l’ex-Wagner recrutent des mercenaires jusqu’au lointain Népal, les soldats russes ne savent pas qui ils combattent vraiment, et le peuple russe ne considère toujours pas le peuple ukrainien comme un ennemi.
L’armée russe de 2024 est protégée par l’arme nucléaire
Vladimir Poutine y fait sans cesse référence. Il vient d’ailleurs d’annoncer de nouveaux exercices nucléaires. Si son armée ne bénéficiait pas de cette protection ultime qu’est la bombe atomique, il y a fort à parier que ses pertes seraient bien plus élevées, car les alliés occidentaux de l’Ukraine permettraient à Kiev de frapper davantage en profondeur, pour détruire les infrastructures militaires russes essentielles.
Il faut se souvenir aussi que l’actuel rapport de force résulte d’un mensonge et d’une falsification de l’histoire par le pouvoir russe. Si celui-ci avait respecté sa parole, à savoir le mémorandum de Budapest signé le 5 décembre 1994 par la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ukraine ainsi que par les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie, il n’aurait pas agressé l’Ukraine. Ce texte garantissait en effet aux ex-pays de l’URSS détenteurs d’ogives nucléaires la garantie de leur intégrité territoriale en échange de leur rétrocession des armes atomiques disposées sur leur territoire.
L’armée russe de 2024 ne se bat pas contre le nazisme
C’est le cœur du mensonge poutinien. Il est impossible de comparer les discriminations reprochées au pouvoir ukrainien vis-à-vis des minorités russophones à la politique d’extermination des Nazis. Y a-t-il, en Ukraine, des groupes d’extrême-droite qui ont dans le passé arboré la croix gammée et qui rêvent de détruire la Russie? Oui. Était-ce un problème pour Moscou? Oui. Mais l’Ukraine en guerre reste un pays où le débat est libre, où l’information circule, où la population veut être intégré au plus vite dans l’Union européenne.
L’armée russe de 2024 tue des soldats ukrainiens qui défendent leur pays en connaissance de cause. Elle n’est en aucun cas une armée de «libération» d’un peuple ukrainien opprimé.