Ce n’est pas un hasard si le géant maritime chinois Cosco contrôle le port commercial du Pirée, en Grèce. C’est en partie depuis Athènes que les containers chinois et les voitures électriques «Made in China» déferlent sur le continent européen. Plamen Tonchev, de l’Institut des relations économiques internationales d’Athènes suit de très près la mainmise chinoise en Europe de l’Est et dans les Balkans. Un sujet essentiel alors que Xi Jinping, après sa visite de deux jours en France les 6 et 7 mai, se rendra en Serbie puis en Hongrie.
Plamen Tonchev, vous suivez les avancées chinoises en Europe de l’Est. Cela nous amène bien sûr à parler de la Russie et de l’Ukraine. La Chine peut-elle vraiment prendre ses distances avec Moscou et tordre le bras de Poutine pour l’obliger à négocier?
C’est peu probable. Si le tandem Chine-Russie n’est pas une alliance militaire, le partenariat «sans limites» entre Pékin et Moscou est un mariage stratégique de convenance. Les deux pays considèrent les États-Unis comme leur principal adversaire et veulent remplacer l’ordre mondial dirigé par les États-Unis par un nouvel ordre, beaucoup plus proche de leur modèle et de leurs normes autoritaires.
La Chine voit la Russie comme une énorme «station-service avec des armes nucléaires», c’est-à-dire un pays riche en ressources doté d’un formidable arsenal et de technologies militaires et spatiales dont elle a grand besoin. La guerre en Ukraine et les sanctions occidentales qui ont suivi ont rendu Moscou beaucoup plus dépendant de Pékin, et Xi Jinping ne voit aucune raison de faire pression sur Poutine.
Emmanuel Macron peut-il avoir une influence sur Xi Jinping?
Le président français est passé à la vitesse supérieure en essayant de secouer l’Union européenne. Il pousse les capitales de l’UE à renforcer leur soutien résolu à l’Ukraine face à l’agression russe et à s’opposer à la présence croissante de la Chine sur les marchés européens, souvent au détriment des industries européennes. Mais que peut-il faire face au poids des chiffres? La Chine est un marché important pour les biens et les technologies françaises, d’une valeur de 36,4 milliards de dollars en 2023.
Le contexte incite aussi peu à la confrontation: la France et la République populaire de Chine célèbrent cette année le 60e anniversaire de leurs relations diplomatiques. Macron a effectué trois visites officielles en Chine où il a bénéficié à chaque fois d’une réception sur tapis rouge. C’est à travers l’Europe que Paris peut agir. La France a soutenu l’ouverture de l’enquête de la Commission européenne sur les subventions présumées accordées aux producteurs chinois de véhicules électriques. Ursula von der Leyen est à Paris ce lundi. Or elle est considérée comme un faucon en ce qui concerne la Chine.
Pourquoi le président chinois poursuit en Serbie et en Hongrie?
La Serbie et la Hongrie sont clairement les pays d’Europe les plus favorables à la Chine. La visite de Xi à Belgrade puis à Budapest est censée mettre en évidence l’influence de la Chine, notamment par l’annonce de projets d’investissement de grande envergure avec un financement chinois. N’oubliez pas aussi que la Hongrie assumera pour six mois la présidence tournante de l’Union européenne à partir du 1er juillet, juste après les élections européennes.
La Serbie et la Hongrie ont enfin été rejointes par la Slovaquie, sous le nouveau gouvernement de Robert Fico. Ce groupe des 3B (Belgrade-Budapest-Bratislava) démontre clairement les divisions au sein de l’Europe vis-à-vis de la Chine et de la Russie, même s’il est peu probable que cela renversera la tendance lourde, à savoir la détérioration des relations sino-européennes.
La Chine peut-elle creuser un fossé entre l’Europe et les États-Unis?
Beaucoup de choses dépendront du résultat des prochaines élections présidentielles aux États-Unis en novembre prochain. Si Donald Trump revient à la Maison-Blanche, le parapluie de sécurité américain sur l’Europe sera remis en question. Les Européens devront alors reconsidérer leur posture de défense, ce que Macron préconise à juste titre. Les relations transatlantiques, même si elles sont parfois houleuses, n’en resteront pas moins la pierre angulaire de la politique de sécurité des États membres de l’UE. L’OTAN est là pour rester. Il est peu probable que Pékin atteigne son objectif de diviser l’Europe et les États-Unis.