À l’approche des élections fédérales de ce mois d’octobre, il me semble plus qu’opportun de revenir sur le bilan politique global de ces 50 dernières années. Depuis les années 1970 en effet, l’ouverture au marché mondial des économies nationales et le développement des politiques de libre-échange ont véritablement lancé l'accélération de la mondialisation ou globalisation (qui dans les faits a commencé avec les siècles d’expansion européenne).
Cela a certainement rendu possible la croissance économique de l’ensemble du monde sur cette période, ainsi qu’un recul de l’extrême pauvreté – du moins jusqu’à la pandémie de COVID-19 –, et les échanges économiques ont également sans doute permis de pacifier en partie les relations souvent hostiles entre pays.
Une capacité à s'autodétruire
Toutefois, une amplification sans précédent des inégalités économiques et sociales entre riches et pauvres s’est produite au cours de ces mêmes années, et surtout, un obstacle sans précédent au mythe de la croissance économique infinie est apparu: les limites des ressources terrestres disponibles pour l’être humain. L’erreur logique de longue date d’une croissance infinie dans un monde fini n’avait bien sûr pas échappé aux observateurs lucides. L’économiste Kenneth Boulding n’a-t-il pas écrit que «celui qui croit à une croissance exponentielle infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste»?
Mais la volonté d’enrichissement sans limites de la plus riche partie de la population, et de son ensemble dans une moindre mesure, a fait que désormais les limites planétaires se manifestent de façon la plus visible et la plus dangereuse: le réchauffement climatique ne signifie pas moins que la menace d’une extinction totale ou partielle du genre humain (et de nombreuses autres espèces).
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité – en fait la deuxième, après la menace de l’holocauste nucléaire –, les êtres humains ont la capacité de s’autodétruire. Ce qui en passant est une hypothèse explicative parmi d’autres du paradoxe du «Grand Silence» de l’univers selon le physicien Enrico Fermi: les civilisations extraterrestres plus avancées que la nôtre, qui de façon probabiliste devraient être nombreuses dans l’univers, ne se manifesteraient pas parce que leur développement incontrôlé aurait déjà entraîné leur disparition.
La plus grande erreur politique
Cette menace peut être considérée comme rien moins que la plus grande erreur politique de l’histoire de l’humanité, parce que d’une part, contrairement aux horreurs du passé, celle-ci implique désormais l’humanité entière et une partie du monde vivant. Et d’autre part, elle n’a pas l’excuse de la dissuasion qu’avait la course à l’armement nucléaire.
Ce qui s’est joué ici est simplement l’ignorance volontaire des avertissements des écologistes et scientifiques qui se sont fait de plus en plus pressants depuis les années 1970 par la droite libérale. Les premiers scientifiques ont averti d’un réchauffement climatique dans les années 1970, les premiers sommets du climat datent des mêmes années, le consensus des scientifiques sur la question est connu depuis au moins les années 2000, mais il a fallu attendre ces dernières années pour que la droite politique admette, face à l’évidence, qu’un libéralisme effréné conduit le monde à la catastrophe.
Il faut encore espérer que ce réveil sans doute trop tardif suffira, au vu des catastrophes climatiques qui ont commencé ces dernières années, et vont malheureusement sans doute s’intensifier dans les prochaines.
Le forum de Davos, cette sorte de «cocktail party» de la Jet-set mondiale organisée depuis 1970, a mis au centre des priorités économiques mondiales les demandes de longue date des écologistes: le développement durable et l’écologie. Et ce, depuis la pandémie de 2020. Il propose un «Big Reset» de l’économie, ce que les complotistes et leur capacité remarquable à tout interpréter de travers voient comme une dictature du Nouvel Ordre Mondial, au lieu de la reconnaissance de la plus grande erreur politique de tous les temps.
Les climatosceptiques en politique
Le réchauffement climatique – et dans une moindre mesure la pandémie mondiale de Covid-19, et plus tôt la crise économique mondiale de 2008 – sonne, et c’est là bien son seul avantage, la fin du néolibéralisme et de la dérégulation économique sauvage que nous avons connue depuis les années 1980. C’est un fait évident, d’une importance capitale, et qui est étrangement – ou au contraire, de façon bien compréhensible – peu évoqué dans la campagne électorale suisse de cet automne.
Dans ce contexte, il est à choix savoureux ou difficilement supportable d’entendre les politiciennes et politiciens de droite donner des leçons d’écologie pour sauver, à leur façon, le monde du réchauffement climatique, alors qu’ils ont ignoré, voire combattu, les initiatives écologiques depuis des décennies. Pire, c’est encore dans leurs rangs qu’on compte encore de trop nombreuses et nombreux climatosceptiques, sans parler du «greenwashing» et autres pratiques discutables qui continuent de mettre en péril l’avenir de la planète.
On a même entendu le président de l’UDC suisse dénoncer dans un élan complotiste, dont le parti est parfois coutumier, comme durant la crise du Covid, «un plan secret de la gauche visant une dictature écologiste». Ces réactions semblent aussi avisées que celles d’un patient qui aurait toujours fumé dans un but d’enrichissement personnel. Il se met ensuite à accuser de dictature son médecin quand celui-ci lui annonce une maladie grave et l’oblige à arrêter, après avoir savamment ignoré ses avertissements pendant des années. Puis, il se met à donner des leçons aux autres pour arrêter de fumer…
La gauche a de l'avance
Notons que le seul argument de défense de la droite est que les écologistes se sont opposés dès les années 70 à l’énergie nucléaire. Mais il n’échappera à personne que remplacer complètement les énergies fossiles par le nucléaire participerait de la même hubris autodestructrice. Pour cause, le nucléaire ne peut être actuellement qu’un allié provisoire dans la transition écologique, en raison du coût exorbitant des déchets nucléaires – on parle de 20 milliards de francs pour une décharge près de Zürich – et des dangers d’accidents (qui évidemment augmentent proportionnellement au nombre de nouvelles centrales).
Mais voyons le verre à moitié plein et concluons une nouvelle fois, comme à propos des assurances sociales, du droit de vote des femmes ou la défense des minorités, qu’être de gauche, c'est avoir raison avec quelques décennies d’avance. Et n’oublions pas d’aller voter en octobre pour les partis qui ont toujours défendu une économie de marché régulée bien plus sévèrement qu’elle ne l’a été ces dernières décennies. En Suisse, le parti Socialiste et Les Vert-e-s.
Une meilleure répartition des richesses
Mais une autre conséquence de la plus grande erreur politique de tous les temps est à relever. À moyen terme, le mythe des ressources illimitées ayant vécu, se pose forcément la question de la répartition de ces ressources. Si effectivement, on pouvait espérer ou simplement prétendre que l’accumulation des richesses infinies depuis le haut finirait par ruisseler sur l’ensemble de la société, il est devenu impossible de le prétendre si les ressources sont finies.
L’un des avantages de la mondialisation et d’internet est la transparence, qui nous apprend que le 1% des personnes les plus riches possède entre 40% et 50% des richesses mondiales. Les 10% plus de 75% de ces richesses, et que ces mêmes 10% produisent plus de 50% des émissions de CO2, par exemple avec leurs trajets quotidiens en jet privé.
L’avenir est ainsi d’évidence à une meilleure répartition des richesses, ce qui sera sans doute indispensable pour résoudre une bonne part des problèmes de l’humanité. Les recherches montrent que le complotisme et le populisme sont aggravés dans les pays les plus inégalitaires économiquement, ainsi qu’évidemment la pauvreté et tous les problèmes sociaux qu’elle engendre (délinquance, précarité, drogues, racisme, etc.).
Ce mouvement a d’ailleurs déjà timidement commencé, avec la chasse de certains pays contre les paradis fiscaux, les demandes de certains millionnaires et milliardaires d’être davantage taxés, la taxe européenne du bénéfice des entreprises à 15%, etc.
L'illusion de la générosité de Federer
Dans ce monde aux ressources à économiser et recycler, la question des limites des rémunérations se pose aussi. En raison de l’automatisation des tâches et de l’intelligence artificielle, la question d’un salaire minimal ne paraît être plus qu’une question de décennies.
Mais dans un monde dans lequel 10% de la population vit avec moins de deux dollars par jour, et l’homme le plus riche du monde gagne selon certains calculs pas loin de 2500 dollars à la seconde (soit 108 millions de fois plus en un jour, si j’ai bien calculé…), la question d’un salaire maximal se pose aussi – à instaurer de façon démocratique bien sûr (j’entends déjà les cris d'orfraie infondés de «Dictature!»).
Quand un Roger Federer, par exemple, donne quelques millions aux enfants d’Afrique du Sud tout en gagnant plus de 100 millions dans ses meilleures années, c’est le contraire de la générosité: c’est une tentative habile de se racheter une illusion morale, pour soi et au regard des autres. Quand un Bernard Arnault donne en France 10 millions de sa fortune estimée à près de 200 milliards aux restos du cœur, y voir de la générosité est une illusion particulièrement scandaleuse, lui dont la fortune est supérieure au PIB de nombreux pays du monde.
Mais l’humanité semble être de moins en moins dupe, de plus en plus consciente des inégalités à réduire, reste désormais à le concrétiser dans les urnes.