Rendez-vous est pris avec Thomas Matter à la Helvetische Bank de Zurich. C'est ici, dans sa banque que le conseiller national UDC reçoit Blick. L'appellation «Helvétique» lui va comme un gant. En tant que membre de la direction du parti, il porte haut les valeurs de sa chère Suisse dès qu'il en a l'occasion.
Parmi les thèmes qui émeuvent l'UDC, l'immigration. Il faut dire que la population suisse croît rapidement. Le parti veut donc une fois de plus la freiner et éviter à tout prix d'atteindre la barre des 10 millions d'habitants. C'est l'objectif déclaré de l'initiative dite «pour le développement durable». Parallèlement, l'UDC combat le dernier projet de traité européen. Elle reproche aux fonctionnaires du ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis de trahir le pays. Interview.
Monsieur Matter, en juillet dernier, vous avez lancé l'initiative pour le développement durable contre une Suisse à 10 millions d'habitants. Où en êtes-vous sur ce point?
L'initiative est prête. Nous avons réuni environ 110'000 signatures certifiées et nous demandons désormais aux sections de nous renvoyer rapidement les feuilles de signatures restantes. Nous déposerons l'initiative fin mars ou début avril.
C'est une rapidité record...
La problématique de la migration est sur toutes les lèvres. Depuis 2002, la population suisse a augmenté de 1,5 million. Rien qu'en 2022, en comptant les réfugiés ukrainiens et les demandeurs d'asile, plus de 180'000 personnes sont venues s'ajouter. Nous ne pouvons pas maintenir une telle croissance si nous voulons préserver notre belle Suisse. Tous les grands problèmes que connaît notre pays sont directement ou indirectement liés à l'immigration.
Vous faites ainsi des étrangers des boucs émissaires. C'est du populisme pur, non?
C'est tout simplement un fait. L'immigration de masse est responsable de l'explosion démographique et de tous les problèmes qui en découlent: crise du logement, hausse des loyers, augmentation des coûts de la santé et des coûts sociaux, embouteillages sur les routes et trains bondés, risque de pénurie d'électricité, problèmes d'intégration dans les écoles, système de santé au bord de l'effondrement, augmentation de la grande criminalité... nous arrivons à la limite dans presque tous les domaines.
En 2014, l'initiative contre l'immigration de masse a été acceptée. Pourquoi celle-ci ne vous suffit-elle pas?
Parce qu'elle n'a tout simplement pas été mise en œuvre! Après que l'initiative a été acceptée, le Tribunal fédéral a fait primer le droit international sur notre Constitution. La majorité de centre-gauche du Parlement en a profité pour ne pas bouger d'un iota sur la libre circulation des personnes. Au cours du débat, on nous a notamment reproché d'avoir demandé la résiliation de la libre circulation des personnes.
Vous vous repositionnez d'ailleurs sur cela avec une sorte de clause guillotine: si la limite de 10 millions de personnes est dépassée pendant deux ans, le Conseil fédéral doit résilier l'accord sur la libre circulation des personnes...
Nous donnons au Conseil fédéral et au Parlement une chance d'éviter ce scénario. Nous ne sommes pas fondamentalement contre l'immigration, mais nous devons pouvoir la gérer et la contrôler nous-mêmes. Si la limite de 9,5 millions de personnes est dépassée, des mesures sont nécessaires. L'initiative renforce la position de négociation du Conseil fédéral vis-à-vis de l'UE afin de doter la libre circulation des personnes de clauses de sauvegarde. C'est donc le contraire de ce qui se passe avec l'accord-cadre UE 2.0 actuellement en discussion, où la libre circulation des personnes est encore étendue.
Où voyez-vous une extension dans cet accord?
Il reprend largement la directive sur les citoyens de l'Union. Les citoyens de l'UE obtiendraient un permis d'établissement en Suisse au bout de cinq ans au lieu de dix et pourraient rester ici même s'ils se retrouvent au chômage ou dépendent de l'aide sociale. Il s'agit d'une violation flagrante de notre Constitution. C'est pourquoi nous examinons si nous allons engager des poursuites pénales contre les responsables du Département des affaires étrangères.
Comment cela? Pour quelle raison?
Parce que cet accord-cadre violerait plusieurs articles de notre Constitution fédérale et ne préserverait pas les intérêts de la Suisse. Il porterait également gravement atteinte à la démocratie directe et au fédéralisme. Négocier un tel accord, c'est trahir le pays!
Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis est donc pour vous un traître à la nation?
Chaque fonctionnaire du Département fédéral des affaires étrangères en charge des négociations, qui soutient et même encourage ce traité colonial, en porte l'entière responsabilité. Le DFAE s'est transformé en satellite de Bruxelles, qui défend les intérêts de l'UE au lieu de ceux de la Suisse.
Ce que vous dites là ressemble surtout à des simples invectives politiques...
Attendez de voir. Nous examinons actuellement sérieusement la situation juridique.
Pour en revenir à votre initiative, le Conseil fédéral étudie plutôt en ce moment scénario qui permettrait d'avoir une Suisse de 10 millions d'habitants où il ferait bon vivre...
La qualité de vie en Suisse souffre déjà aujourd'hui avec 9 millions d'habitants. Je ne vois pas de scénario à moyen terme pour une amélioration.
Mais comment voulez-vous que notre qualité de vie s'améliore si nous avons moins de personnel qualifié, des infirmiers ou des ingénieurs, qui bien souvent viennent de l'étranger?
Pour disposer de ce personnel qualifié, nous n'avons pas besoin d'une immigration illimitée. Au contraire, elle ne fait qu'aggraver la pénurie de main-d'œuvre qualifiée. Nous devons au contraire gérer l'immigration et faire venir les personnes dont nous avons vraiment besoin. Avec la politique d'immigration actuelle menée par le centre-gauche, ce ne sont pas seulement trop de personnes qui arrivent dans notre pays, mais les mauvaises personnes. Depuis des années, la prospérité par habitant stagne.
Les démographes prévoient que la population augmentera encore jusqu'à un peu plus de 9,5 millions, avant de diminuer, notamment en raison du faible taux de natalité. Votre initiative est-elle donc vraiment utile?
J'ai déjà entendu beaucoup de contes de fées, je ne peux qu'en rire. Lors de la campagne de votation sur la libre circulation des personnes, le Conseil fédéral a parlé d'une immigration nette de 8000 à 10'000 ressortissants de l'UE. La réalité est cependant d'environ 40'000 à 60'00 immigrants de l'UE par an. Et même 80'000 si l'on inclut les pays tiers, et ce sans compter tout le domaine de l'asile. Au total, 100'000 immigrés viennent actuellement s'ajouter chaque année. Cela ne peut pas continuer ainsi.
Si nous plafonnons la population, les jeunes ne vont-ils pas finir par manquer?
C'est comme ça. Nous aurons donc aussi des problèmes avec les assurances sociales comme l'AVS ou les caisses de pension. Mais nous devons trouver de meilleures solutions! Si nous attirons toujours plus de personnes en Suisse pour pouvoir payer les cotisations AVS croissantes, nous nous retrouverons dans un système boule de neige et nous conduirons tout notre pays dans le mur.
L'UDC ne ferait-elle pas mieux d'essayer de résoudre le problème à l'intérieur du pays en lançant une initiative sur les primes de naissance par exemple?
La population peut diminuer et la prospérité augmenter, à condition que la croissance par habitant augmente. On devient généralement beaucoup plus productif avec moins de personnes. Mais encore une fois, l'UDC n'est pas contre l'immigration. Nous voulons à nouveau la gérer nous-mêmes.