Chauffer moins, éteindre les lumières, prendre une douche plutôt qu’un bain: Le Conseil fédéral appelle la population à faire des économies d’énergie. Pour l’instant encore, sur une base volontaire. Mais comment tournera vraiment le vent cet hiver? Christian Dorer, rédacteur en chef du groupe Blick, s’est entretenu avec la conseillère fédérale PS Simonetta Sommaruga à ce sujet. Il a pu la rencontrer un jour après le lancement de la campagne pour les économies d’énergie.
Madame la Conseillère fédérale, cuisiner avec le couvercle sur la poêle et remplir complètement le lave-vaisselle, voilà ce que vous recommandez à la nation. Pourquoi donner uniquement des conseils à ce stade? Je pense qu’il est clair pour la population que nous sommes dans une situation difficile. Nous avons une guerre en Europe et Vladimir Poutine met en péril l’approvisionnement en gaz. Le Conseil fédéral a beaucoup œuvré ces derniers mois afin que nous passions le meilleur hiver possible. Avec cette campagne d’économies, nous le disons simplement: la population peut elle aussi apporter son aide.
En termes d’économies d’énergie, combien tout cela représente-t-il? Si l’on chauffe nos maisons avec un petit degré de moins, on peut déjà économiser 5 à 6% d’énergie. C’est une quantité assez importante. Si l’on utilise la bouilloire au lieu d’une casserole, on économise 50% d’électricité. Et si l’on utilise la chaleur tournante du four pour une cuisson à la place de la chaleur voûte et sole, on économise également beaucoup. Ce sont des petites choses que nous connaissons déjà. Mais il est bon de les rappeler maintenant.
Dans d’autres pays, on a vu que l’on pouvait ainsi économiser entre 5 et 15% d’énergie, voire même un peu plus. Êtes-vous optimiste dans le cas de la Suisse? Je suis très confiante. Nous avons créé des réserves pour l’hiver prochain. Nous avons une petite marge de manœuvre pour que cela se déroule bien. Et si tout le monde éteint la lumière lorsqu’il n’est pas dans une pièce, si on éteint nos ordinateurs lorsqu’on n’en a pas besoin, cela aidera aussi. Tout cela n’est pas une perte de confort, c’est la chose la plus naturelle du monde.
Le Conseil fédéral a mis en consultation une ordonnance en cas de pénurie de gaz. Dans la situation extrême, on ne pourrait chauffer son appartement au gaz plus qu’à 19 degrés. Pourrait-on tout de même chauffer sa maison à 23 degrés, par exemple, avec un chauffage électrique ou un poêle à bois? Comme vous le dites, les propositions relatives au gaz ont été mises en consultation mercredi. Les questions comme la vôtre doivent désormais être discutées.
Ce que la population ressent surtout ces temps, c’est l’augmentation des prix. Dans la commune d’Oberlunkhofen, en Argovie, les prix explosent par exemple. L'«Aargauer Zeitung» calcule que les coûts pour un ménage sont passés de 800 francs pour à 2900 francs par an. Que dites-vous aux personnes qui doivent payer? Cette situation de crise démontre qu’il y a des perdants et des gagnants. Nous devons être attentifs aux deux. Qui est vraiment gagnant, qui fait vraiment des affaires…
Mais les perdants n’en profitent pas… Il faut se pencher sur les cas difficiles. Il faut en être conscient. Les entreprises d’approvisionnement appartiennent à une commune, une ville ou un canton. Elles ont donc naturellement une responsabilité dans ce genre de situation.
Pour l’instant, le Conseil fédéral affirme que les hausses des prix sont supportables. Quel est le seuil à partir duquel l’Etat considérera qu’il faut agir? Le département de l’économie observe de manière constante la situation. S’il y a vraiment des cas où l’on doit réagir, je pars du principe que cela se fera. Mais encore une fois, les communes et les cantons sont propriétaires des usines. Certaines entreprises vont peut-être soudainement faire des milliards de bénéfices. Il faut se demander alors ce que l’on fera de ces bénéfices excédentaires.
Vous pensez qu’il faut les redistribuer? On ne peut pas se contenter de profiter de la situation. Je suis d’avis que nous ne pouvons pas détourner le regard.
Tout le monde parle de l’hiver qui approche, il y en aura d’autres. Pour l’instant, il y a encore des réserves de gaz. Mais quelles sont les solutions à long terme? C’est une bonne question. Nous sommes très concentrés sur l’hiver qui vient. Mais la crise ne se terminera pas juste après pour autant. C’est pourquoi nous voulons nous éloigner de cette dépendance massive aux importations de pétrole et de gaz. Cela signifie que nous avons besoin de plus d’électricité indigène.
Mais cela ne prendrait-il pas des années à mettre en place? Je ne pense pas. Au cours des quatre dernières années, la population a battu chaque année le record au niveau de l’énergie solaire. Nous avons réduit la liste d’attente pour le photovoltaïque. Nous avons fait en sorte qu’il n’y ait plus besoin d’autorisation pour les panneaux solaires sur les toits plats et que l’on puisse utiliser gratuitement les murs antibruit le long des autoroutes. Nous sommes capables de faire avancer les choses.
Et qu’en est-il des centrales nucléaires? Ne doivent-elles pas pouvoir fonctionner plus longtemps au regard de la crise actuelle? L’Allemagne, par exemple, a décidé que les centrales nucléaires seraient arrêtées à un moment précis. Point. Chez nous, la stratégie est tout autre. Les centrales nucléaires peuvent fonctionner tant qu’elles sont sûres. Une autorité indépendante vérifie cela chaque année. Elle a la mission de déterminer s’il faut investir pour la sécurité d’une centrale. Mais celle-ci peut fonctionner pendant 50, voire 60 ans. Nous n’avons pas de date précise à laquelle nos centrales nucléaires doivent être arrêtées. C’était stratégique. Cela nous permet de développer des énergies renouvelables indigènes. Nous pouvons progresser rapidement si tout le monde y met du sien.
Comment vous chauffez-vous chez vous? Je me chauffe toujours au gaz, mais j’aimerais bien être raccordé à un réseau de chauffage à distance. Tout mon quartier s’engage en ce sens. La ville de Berne nous a expliqué qu’elle voulait maintenant vraiment aller de l’avant pour que nous puissions utiliser la chaleur résiduelle des usines d’incinération des ordures ménagères. De plus, j’ai quelques panneaux solaires sur le toit. C’est agréable: chaque fois que le soleil brille, je vois que l’électricité est tout simplement produite sans mon intervention – et gratuitement.
(Adaptation par Thibault Gilgen)