Voilà un message qui résonne un peu comme si un citoyen en colère avait pris les commandes du compte Twitter de l'UDC. «La gauche caviar et les écolo-moralisateurs vivent dans leurs bulles, à l'écart de la réalité que vivent la plupart des gens dans ce pays. Ils considèrent la population rurale avec mépris et condescendance. L'UDC ne veut pas de parasites sociaux ni de Suisse parasitée.»
Or, ce n'est pas un internaute quérulent qui s'est égaré dans un espace commentaires sur un site d'actualité ou sur Facebook, mais bien le président du parti Marco Chiesa en personne qui a lu cette déclaration à l'occasion du 1er août.
Le plus grand parti du pays qui insulte les citadins: voilà qui peut surprendre, mais il s'agit d'une stratégie contrôlée de l'UDC. La direction du parti sait très bien que ce discours va provoquer des remous mais aussi mobiliser sa base — c'est là exactement le but recherché.
Il ne s'agit pas non plus d'une initiative personnelle du président, puisque le chef de groupe au Parlement Thomas Aeschi s'est montré tout aussi virulent dimanche contre les «villes roses-vertes». Ses exigences sont claires: «Nous devons faire en sorte que cette dominante rose-verte dans les villes arrête de décider à la place des campagnes. Les campagnes doivent être libres et indépendantes et ne pas laisser dicter par les villes comment elles doivent penser et vivre!»
Les anciennes tactiques ne fonctionnent plus
Selon les recherches de Blick, la Fête nationale marque le lancement d'une stratégie globale. Le conseiller national zurichois Thomas Matter a été nommé responsable du dossier. Son objectif: mobiliser la population des campagnes en vue des élections fédérales de 2023.
Cela n'étonne pas le politologue Michael Hermann. Il explique que l'UDC a accumulé les succès depuis les années 1990 sous la direction de Christoph Blocher en tirant à boulets rouges sur la «classe politique». Or, cela ne fonctionne plus aujourd'hui: l'UDC a intégré cette classe politique et a obtenu des succès de l'intérieur, le dernier en date étant l'abandon des négociations autour de l'accord-cadre. «Les villes roses-vertes doivent devenir la nouvelle classe politique», analyse le Zurichois.
Du neuf avec du vieux
Le parti n'a toutefois rien inventé: il fait sien un clivage qui divise la population depuis des décennies. Les populations des villes et des campagnes avaient déjà des visions complètement différentes de l'agriculture et du pays à la fin du 19e siècle, explique Alina Zumbrunn, qui s'intéresse à ces problématiques à l'Université de Berne.
Mais le conflit a gagné en prévalence depuis les années 1990, lorsque la Suisse a dû se positionner par rapport au monde. Les villes plaident pour une ouverture, les espaces plus agricoles pour un protectionnisme et une Suisse plus cloisonnée. Le scrutin autour de l'EEE en 1992 a cristallisé ces divisions, abonde Michael Hermann. «Depuis ce jour, les deux camps votent toujours plus différemment. Le fossé ville-campagne n'a cessé de se creuser.»
Ce qui frappe, c'est que ce clivage se matérialise surtout dans les urnes. Les populations urbaines ou campagnardes ont connu des évolutions plutôt similaires ces dernières années. Selon Alina Zumbrunn, les premiers sont plutôt favorables à l'abolition du service militaire obligatoire, soutiennent l'État-providence et ont une perception plus favorable des étrangers que les seconds. «Mais ça, nous le savons depuis 30 ans», relativise la chercheuse. Son argument: les disparités n'ont pas vraiment évolué, ou alors en parallèle. Tant les citadins que les campagnards sont devenus plus sensibles à la cause climatique, par exemple.
Comme le comportement électoral dévie beaucoup, cela risque de pousser les gens aux urnes. On l'a constaté avec les deux initiatives agricoles de juin qui ont créé une grosse mobilisation électorale dans les campagnes, qui se sont senties attaquées. Le non à la loi CO₂ apparaît ainsi comme une conséquence collatérale.
La campagne commence dès la rentrée
Le vieux roublard de l'UDC Christoph Blocher ne s'y est pas trompé. Au soir de cette belle victoire, le doyen du parti analysait déjà: «Le fossé entre les villes et les campagnes est encore plus grand que ce que je pensais.» Avant d'enchaîner plusieurs jours plus tard sur Twitter: «Celui qui ne veut pas que la gauche caviar ou les donneurs de leçons des Verts décident depuis les villes de comment devrait vivre l'ensemble de la population devrait voter UDC.»
D'un côté les campagnards travailleurs, de l'autre les citadins décadents. Cette rhétorique a fait ses preuves: c'est une arme populiste qui a été utilisée tant par Donald Trump aux Etats-Unis que lors de la campagne du Brexit en Angleterre.
L'UDC s'en accapare et a les villes dans la ligne de mire. Dès septembre, le parti agrarien veut lancer une campagne à la fois au niveau national et dans les cantons, annonce Thomas Matter. Dans le viseur: les «flots d'argent» accaparés par les milieux urbains.
Le conseiller national prend l'exemple de son canton, Zurich: les campagnes paient 1,2 milliard de francs en trop au profit des villes. «Chaque année!», tonne Thomas Matter, qui a fait le calcul. Ce n'est qu'ainsi que le camp urbain rose-vert peut financer son train de vie. «Il faut couper le robinet aux villes, responsables de cette politique nuisible pour notre pays.»
Croître dans les villes: l'objectif abandonné
Des objets très concrets sont déjà prêts. Premier objectif: la péréquation financière, qui prévoit des allocutions spéciales pour les centres-villes. «Les socialistes qui gèrent les villes peuvent faire ce qu'ils veulent et aimer le luxe, mais ils doivent le financer eux-mêmes», explique Thomas Matter.
Avec ce «bashing urbain», l'UDC veut retrouver du succès dans les urnes. Un pari qui comprend un risque: se mettre à dos la population des villes, qui représente un tiers des habitants du pays. Il n'y a pas si longtemps encore, le premier parti du pays (en % au Conseil national, du moins) espérait prospérer également dans un contexte urbain. Ce temps est révolu.