«Iran: libérez-les immédiatement», tonne ce vendredi sur Twitter le conseiller national Roger Nordmann. Joint au téléphone par Blick dans la foulée, le président du groupe socialiste au Parlement ne mâche pas ses mots. «Ce régime est infernal», s’étrangle-t-il. À l’origine de sa colère, l’arrestation de cinq jeunes athlètes iraniens à Chiraz, ville du centre-sud de l’Iran. Ils ont entre 25 et 35 ans et sont emprisonnés quelque part dans le pays en attente de jugement. Le régime les accuserait d’avoir fabriqué un engin explosif pour lui nuire.
Des collègues de Roger Nordmann lui ont depuis emboîté le pas. Ils veulent faire connaître le plus possible de l’histoire de ces sportifs, en usant des réseaux sociaux et de leur carnet d’adresses.
À l’origine de cette mobilisation, la députée au Grand Conseil vaudois Oriane Sarrasin. «Une chercheuse que je connais bien m’a informée de la situation dramatique de ces cinq jeunes athlètes de Chiraz», explique la socialiste.
Bouleversée par ce récit, elle a décidé de donner l’alerte autour d’elle afin de tenter de mettre sur pied un mouvement depuis la Suisse. Objectif: créer une pression internationale.
Un lieu de détention inconnu
Essayons de mieux comprendre. Qu’arrive-t-il à ces sportifs? Blick a pu s’entretenir par téléphone avec l’universitaire iranienne à l’origine de ces informations. Les familles et amis des jeunes embastillés en savent très peu sur leur situation, soutient Alina*, une source proche des principaux intéressés.
«Le régime iranien a tenté de leur faire porter le chapeau d'une tentative d'attentat à l'engin explosif en créant de fausses preuves», nous confie-t-elle. Fin octobre 2022, les Gardiens de la révolution iraniens, l’armée idéologique du pays, déclaraient que leur «unité de renseignement avait déjoué un attentat à la bombe», selon l'agence de presse Reuters. Ce serait la raison de l'inculpation des cinq suspects, d'après la chercheuse.
Mais beaucoup de flou demeure. Impossible, notamment, de connaître avec certitude leur lieu de détention. Dans les faits, Amir Arsalan Mahdavi a été le premier à être arrêté par les services de renseignement iraniens, au début du mois de novembre. Les coordonnées des quatre autres athlètes auraient ensuite été trouvées dans son portable. Précédemment, tous les cinq auraient communiqué leur soutien aux manifestations qui ont actuellement lieu en Iran, selon le média indépendant géré par des journalistes iraniens et de la diaspora IranWire.
Des confessions obtenues sous la torture?
La lanceuse d’alerte iranienne a des contacts indirects avec eux, car ils ont droit à trois minutes de téléphone par jour avec leurs proches. Mais leurs correspondances seraient surveillées. Les suspects ne pourraient donc pas parler de leur situation en détail. «Dena Sheibani, la seule femme arrêtée de ce groupe d’amis, sera probablement jugée la semaine prochaine, s’inquiète notre informatrice. Nous n’en savons pas plus pour l’instant, mais nous avons une certitude: l’un d’eux a avoué sous la torture des crimes qu’il n’avait pas commis.»
Comment les proches de ces cinq sportifs peuvent-ils l’affirmer? Cinq vidéos de confessions ont été publiées sur TASNIM, le site d’une agence d’information privée iranienne. Sur l’une d’elles, Mohammad Khiveh, l’un des prisonniers, apparaît très émacié et avoue en farsi avoir «fabriqué une bombe grâce à ses connaissances d’étudiant en robotique», rapporte Alina, parfaitement bilingue. Or, le jeune homme serait étudiant… en littérature anglaise. «Il ne peut pas avoir dit ça de son plein gré, c’est absurde!», lance-t-elle.
Quel motif se cacherait en réalité derrière cette détention? «C’est très clair: le régime veut monter une histoire pour effrayer la population et l’empêcher d’agir contre l’Etat, tranche l’universitaire. Le régime veut en faire un exemple, comme ces sportifs sont relativement connus au niveau local.» Le dossier ne tient pas, enchaîne-t-elle en substance: l’un des accusés ne se serait même pas trouvé à Chiraz pour faire ce dont on l’accuse, mais à Téhéran, comme le soutient également une journaliste iranienne.
Or, s’ils sont jugés coupables, ils risquent gros. «Les chefs d'accusation ne sont pas encore totalement clairs. Mais d'après les confessions 'forcées' qui ont été publiées en vidéo, il est très probable qu'on les charge de 'corruption sur terre'», s'alarme Alina. Autrement dit, ils s'exposeraient à une très longue peine de prison, voire à la peine capitale en cas de culpabilité.
Malgré cette menace, ils n'ont eu accès à aucun avocat, atteste notre source, confirmant une information d'IranWire.
«Nous devons mettre la pression sur le gouvernement»
Retour en Suisse. «Cela bouge au niveau de parlementaires nationaux, qui se groupent pour la question iranienne», nous assure Oriane Sarrasin. Plusieurs autres politiciens romands ont décidé de s’engager pour parrainer politiquement ces athlètes de la ville de Chiraz.
Le conseiller national Samuel Bendahan s’est notamment joint au mouvement. «De telles exécutions sommaires injustifiées ne doivent absolument pas se faire, d'autant plus dans l’indifférence, assène au bout du fil le conseiller national socialiste vaudois. Nous devons mettre la pression sur le gouvernement iranien pour lui signaler que s’il passe à l’action, cela se saura.»
Comment compte-t-il procéder? Il veut mobiliser une liste de parlementaires suisses et des autres pays, nous apprend-il. Mais lui et ses collègues pensent-ils vraiment pouvoir exercer une pression suffisante depuis l’étranger? «On ne peut malheureusement pas faire grand-chose de plus à notre niveau pour l’instant, admet l’élu. Mais moins il y a de pression à l’international, et plus il y a de risques que des gens soient tués.»
La sensibilisation de l’opinion publique est-elle pour autant le meilleur moyen d’empêcher de tels drames? Selon lui, il faudrait compter deux ans si le Conseil fédéral y répond favorablement. Deux années que ces jeunes n’ont pas. «Des textes parlementaires seraient un moyen envisageable s'ils pouvaient être traités avant qu'un drame ne se produise. Ce qui est difficile pour les personnes concernées aujourd'hui», regrette-t-il.
L’Iran toujours à feu et à sang
Pour mémoire, l’Iran est violemment secoué par des manifestations depuis la mort de Mahsa Amini, une Kurde iranienne de 22 ans, le 16 septembre dernier. Cette jeune femme est décédée après son arrestation par la police des mœurs pour infraction au code vestimentaire strict de la République islamique.
Depuis, la répression fait rage. Deux personnes en lien avec les protestations ont été exécutées la semaine dernière. Suscitant de multiples condamnations, notamment par l’ONU. Les pertes humaines dans les rangs des protestataires sont difficiles à chiffrer: l’ONG Iran Human Rights dénombrait, le 29 novembre, 448 manifestantes et manifestants tués par les forces de sécurité.
*Prénom d’emprunt, nom connu de la rédaction