«Le PLR genevois, en ce moment, c’est un peu comme la Pologne pendant la Deuxième Guerre mondiale: un gâteau dont tout le monde veut sa part.» Ça gazouille, ça grogne et ça spécule dans les couloirs de l’Hôtel de Ville de Genève. À l’approche des élections cantonales d’avril 2023, le grand parti bleu semble vivre une entrée en course un peu laborieuse. Si l’on en croit la petite dizaine d’élus qui ont bien voulu nous expliquer ce qui se trame en coulisses – à condition de rester anonymes.
Pourquoi le PLR battrait-il de l’aile? Ce qui met la puce à l’oreille, ce sont les départs pressentis dans les communes et les nombreux députés au Grand Conseil qui ne se représentent pas. Les deux grands déserteurs étant Philippe Morel (parti pour le MCG) et Charles Poncet (parti pour l’UDC).
La liste libérale-radicale pour le Grand Conseil, quant à elle, compte 61 candidats. Lors des dernières élections en 2018, elle en comptait 80. Au niveau cantonal, on constate que Serge Hiltpold, Antoine Barde, Beatriz De Candolle ou Jean Romain, par exemple, ne brigueront pas de nouveau mandat, comme nous l’a confirmé le président du parti Bertrand Reich. Même si ces personnes ne quittent pas le parti en soi.
Au niveau communal, en revanche, de vraies défections seraient attendues. Selon le municipal d’une commune genevoise: «Il y a beaucoup de départs dans les communes, oui. En Ville de Genève, j’ai l’impression que la moitié des élus sont en train de jeter l’éponge. Ou alors, ils attendent de voir les résultats des élections avant de sceller leur départ. Par départ, entendez que les gens se contentent souvent de disparaître. Ils arrêtent progressivement de payer les cotisations et d’aller aux réunions, par exemple, jusqu’à être automatiquement exclus du parti.» On y reviendra.
Une période de disette semble donc se profiler. N’y a-t-il pas assez de nouveaux talents dans ce canton, pour remplacer les déserteurs? Le parti bourgeois peine-t-il à recruter – sinon pourquoi se contenter de 61 candidats?
La réalité est plus complexe. Entre jeu de chaises musicales et dissensions internes, quoi qu’il en soit, les libéraux-radicaux semblent vivre un moment tumultueux. Pour le meilleur, ou pour rabougrir? On a été gratter au cœur même du parti pour tenter de comprendre ce qui s’y trame.
Pourquoi autant de départs?
Pourquoi les gens partent, et pour aller où? À priori nulle part – exceptés Philippe Morel et Charles Poncet. La plupart lâcheraient du lest en politique pour vaquer à d’autres occupations. Pour Bertrand Reich, c’est d’ailleurs «tout à fait normal». Il considère ces départs comme un phénomène usuel, à la veille des élections.
Mais alors où sont les candidats tout frais, les nouvelles têtes d’affiche qui combleraient le vide laissé par ces «retraités»? Il n’y en a pas vraiment, en fait. Le grand parti bleu n’étant pas un aficionado des coups de théâtre et des candidats surprises de dernière minute: pour arriver à la députation, au PLR, il faut prendre les escaliers.
Un député proche du bureau central nous parle, sans cynisme aucun, d’un système (très) pyramidal: «Quand on arrive dans ce parti, on commence tout en bas. Si on s’intègre bien, si on a un bon réseau ou un bon nom de famille – ou les deux – on monte plus ou moins vite comme député ou municipal. Donc il y a peu de surprises et peu de nouveaux arrivants parmi ceux qu’on met en avant pour l’élection au Grand Conseil, c’est vrai. D’autant plus qu’en général, un tiers des élus sortants, au moins, est réélu.»
Un fonctionnement aussi vertical que coutumier, mais qui serait devenu plus élitiste encore ces dernières années. Un autre élu regrette: «Aujourd’hui, dans ce parti, si vous n’êtes pas riche ou que vous n’avez pas un ‘de’ dans votre nom de famille, vous avez assez peu de chances de percer. Il y a un certain mépris social pour ceux qui viennent de milieux plus populaires.»
Un jeu de chaises musicales
Qu’ils soient prolos ou qu’ils portent un nom de famille à particule, il n’y aura donc pas de grandes nouveautés parmi les têtes d’affiches du PLR pour ces prochaines élections. En revanche, un jeu de chaises musicales serait bien en train de se jouer à l’interne. Avec une variable en prime: le changement du président du parti, qui surviendra en mai 2023, juste après les élections cantonales. Et ça modifie les dynamiques internes: chacun se repositionne, et les plus ambitieux lorgnent la présidence. «C’est vrai que ça gesticule un peu dans les coulisses», appuie un membre.
Et un autre d’embrayer: «C’est un peu le mercato en ce moment, à l’interne comme à l’externe. Chacun se sert là où il peut.» Tant les départs que le changement de présidence semblent en effet bousculer les forces en place. Qui pourrait succéder à Bertrand Reich à la tête du parti?
PLR cherche président
La majorité des personnes interrogées citent trois noms: Murat Alder, Pierre Nicollier et Darius Azarpey – précisément dans cet ordre, pour ce qui est de leurs chances d’être choisis. Un choix qui n’est pas anodin comme nous l’explique un député. Car, dans le monde du PLR, ce poste est traditionnellement un tremplin vers le Conseil national ou le Conseil d’Etat. Exception faite de Bertrand Reich, qui aurait été placé là en guise de pacificateur, en 2018 juste après l’affaire Maudet.
Lui aurait hérité du poste grâce à… son calme olympien. «À l’ère post-Maudet, Bertrand Reich est apparu comme le choix idéal: c’est un unificateur, il ne s’énerve jamais, et surtout, il n’a plus d’ambitions personnelles en politique, nous confie un élu bien renseigné. Il est rond comme un bon Merlot. Mais c’était un choix contextuel. Aujourd’hui, c’est la fin de l’ère Reich. Il nous faudrait quelqu’un de plus jeune, de très dynamique et de très motivé, en mai prochain».
Bertrand Reich était, de base, de souche libérale, avant la fusion du PRD et du PLS il y a dix ans à Genève. Ce n’est un secret pour personne: bien que de plus en plus superficielles, les dissensions entre les anciens libéraux et les ex-radicaux au sein du parti existent toujours.
Si Murat Alder est nommé à la présidence, selon l’un de nos interlocuteurs, cela pourrait réjouir (et apaiser) ceux qui sont restés un peu radicaux dans l’âme, et qui sont aujourd’hui minoritaires au sein du PLR – surtout au Grand Conseil, où il ne reste qu’un seul radical assumé, à savoir Patrick Malek-Asghar. «Murat Alder est fortement pressenti pour ce poste, affirme la source en question. Car c’est quelqu’un de très loyal envers le parti, malgré son ancienne proximité avec Pierre Maudet et son petit penchant radical. Et il a un énorme réseau…»
Problème: la Rive droite laissée à l’abandon
Les radicaux qui se définissent comme tels sont un peu une espèce en voie d’extinction, au PLR. «C’est normal: la fusion a eu lieu il y a dix ans, commente un député. Ceux qui sont arrivés après sont tous des libéraux-radicaux pure souche, et ils sont gentiment majoritaires. Donc les guéguerres entre les deux bords, c’est fini.» La plupart de nos interlocuteurs sont aussi de cet avis.
Mais: il y a un mais. Si les discrépances idéologiques entre les radicaux et les libéraux sont de plus en plus insignifiantes, il n’empêche que la Rive droite de Genève (ou partie du canton située du côté droit du Rhône et du lac Léman) – traditionnellement le bastion du camp radical – est aujourd’hui un peu laissée à l’abandon.
«Hier, c’était la citadelle des radicaux. Aujourd’hui, on a un peu l’impression que c’est la poubelle de Genève…», ose un membre du parti. Le PLR serait-il devenu la prérogative des beaux quartiers? «En termes d’électorat, c’est clair, il n’y a pas photo. Le cœur du nôtre est sur la Rive gauche», affirme la même personne. La Rive droite s’étant davantage paupérisée avec les années.
Cela malgré les efforts de certains libéraux-radicaux comme Nathalie Fontanet ou Sébastien Fabbi, qui tentent de raviver la flamme bleue de ce côté-là de la ville. Officiellement depuis 2021, avec la création d’une sous-section PLR Rive droite. Le but? Rassembler les représentants locaux du parti pour discuter de l’avenir de ce bout de Genève. Des projets pour le raviver et y améliorer la visibilité du parti devraient voir le jour en janvier 2023.
Problème: les communes se rebellent?
Si la ministre des Finances Nathalie Fontanet s’inquiète de la place qu’occupe le PLR au niveau de certaines communes, selon un élu municipal, elle n’est pas la seule. D’après lui, la direction du parti sent – à tort ou à raison – comme une fronde se profiler: «Le bureau central voit un peu les sections communales du PLR comme les derniers bastions des radicaux – et donc, indirectement, comme des soutiens de Pierre Maudet. Nous en sommes à un point où des personnes se font reprendre si elles likent l’un de ses posts sur les réseaux sociaux...». On l’a dit au début de cet article: ainsi fliquée, une partie de ces élus communaux envisagerait de partir.
Pendant que le PLR joue aux chaises musicales avec sa présidence, l’ombre de Pierre Maudet – le revenant, avec son nouveau parti Liberté et justice sociale – semble donc (toujours) obscurcir les lumières bleues. Et c’est vrai: selon deux sources, un certain nombre d’élus dans les communes seraient restés plus ou moins proches de l’ancien radical, ou de ses idées du moins. Ce qui ne plairait pas vraiment au bureau central.
Ainsi, la cascade de départs que connaît le PLR pourrait peut-être (aussi) s’expliquer par une volonté du comité directeur de faire le ménage: «C’est presque devenu une dictature: Pierre Maudet obsède toujours ce parti. Si vous l’aimez bien, malgré tout ce qu’il s’est passé, vous êtes blacklisté. C’est tout. Depuis cette affaire, le bureau central contrôle de très près ce qu’il se passe dans les municipalités.»
Problème: le PLR n’arrive plus à être populaire
La Rive droite laissée à l’abandon au profit des beaux quartiers, les sections PLR des communes qui tirent la langue (en Ville de Genève, mais pas que). De nouveaux partis de centre-droite, plus populistes, plus novateurs, qui viennent empiéter sur le terrain électoral du PLR – à l’image de Liberté et Justice sociale, ou des Vert’libéraux qui montent… Le grand parti bleu du bout du lac pourrait-il être en train de couler?
Impossible. Au niveau du vote populaire, le PLR est toujours le premier parti du canton, et risque bien de le rester à moins d’un incroyable coup de théâtre. Mais il pourrait perdre la marge de manœuvre confortable dont il a bénéficié jusqu'à présent.
S’il ne va certainement pas disparaître, le parti pourrait bien être en train de se scléroser un peu: «Nous devons revoir notre communication. Mais c’est compliqué: puisque tout passe par le bureau central, il y a peu de place pour les initiatives personnelles, et donc peu de place pour l’innovation», commente un municipal.
Un député bleu au Grand Conseil est aussi de cet avis: «Je concède qu’il est important que le PLR reste un parti populaire, sans être populiste. Pour cela, il faudrait en effet qu’on communique de manière plus concrète…» Mais ce besoin de renouveau, au niveau marketing du moins, ne fait pas consensus. Un autre PLR pense que, par ces temps incertains, il faut au contraire s’en tenir aux valeurs sûres: «Vu le contexte actuel, il vaut mieux miser sur les fondamentaux. On ne commence pas à jouer avec ses valeurs à si peu de temps des élections!»
Il en est convaincu, l’électorat plongera la tête la première dans les promesses bleues, par les temps qui courent, grogne interne, départs ou pas: «D’un point de vue stratégique, vu la conjoncture actuelle – le ralentissement de la croissance, les prix de l’énergie – les gens auront tendance à retourner aux valeurs sûres, donc vers les partis rassurants, qui sont là depuis longtemps.»
Ce que tout ça peut coûter aux élections
L’un de ses camarades entonne le même refrain, mais admet quant à lui ne pas être complètement serein non plus: «Il y a deux ou trois mois, nous étions encore très sûrs de nous et confiants pour ces élections. Nous le sommes certes un petit peu moins aujourd’hui, mais je pense que la conjoncture globale de 2023 va jouer en notre faveur. Des thèmes comme l’énergie et la fiscalité seront au centre des débats. C’est un boulevard idéal pour nous, puisque ce sont des sujets peu investis par la gauche.»
Parmi nos sources, toutes ne sont pas aussi confiantes que cet interlocuteur. Le plus pessimiste affirme: «Je pense qu’il est probable que nous perdions au moins un quart de nos sièges, vu le nombre de partis dans la course». À savoir sept en tout – ce qui est assez énorme. Un autre commente: «J’avoue que la concurrence à laquelle doit faire face le PLR pour ces élections est assez inédite…»
Au centre-droite, le principal rival des libéraux-radicaux, hormis peut-être les Vert’libéraux, est probablement le parti Liberté et justice sociale: «Statistiquement, il est impossible que Pierre Maudet et le PLR s’en sortent bien tous les deux», souligne un élu.
Presque impossible, en effet, d’imaginer deux ministres PLR aux côtés de Pierre Maudet au Conseil d’Etat. Mais si le parti bourgeois n’arrive pas à faire passer leurs deux candidates au Gouvernement, ce n’est pas forcément grave, au final, selon un interlocuteur particulièrement versé dans le calcul électoral. «Il est plus important pour nous d’avoir une majorité de droite au parlement qu’au Conseil d’Etat, pour faire passer des projets», avance-t-il.
Ce même député ne voit pas le PLR sur un siège éjectable: «Même si nous perdons des voix, ce qui peut en effet arriver, nous ne perdrons pas de sièges, j’en suis sûr. On risque même d’en gagner. Car, en réalité, toutes les voix attribuées aux petits partis qui n’atteindront pas le quorum des 7% seront ensuite réparties entre les partis qui ont passé cette barre… à la majoritaire.» Ce qui privilégierait le parti. Faites vos paris.