Claudia Moerker, présidente de Swiss Export
«La pénurie de main-d'œuvre qualifiée est pire que le franc fort pour les exportations»

Claudia Moerker est directrice de l'association Swiss Export depuis vingt ans. Elle s'oppose à la bureaucratie croissante et propose de nouvelles voies pour faire face à la grave pénurie de main-d'œuvre qualifiée. Interview.
Publié: 27.06.2023 à 10:45 heures
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Dernière mise à jour: 27.06.2023 à 12:06 heures
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Claudia Moerker est directrice de Swiss Export, l'association des PME suisses exportatrices, depuis 2003.
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Rolf Kromer

Il y a quelques années encore, les taux de change actuels n’auraient donné lieu qu’à un seul sujet d’interview avec la directrice d’une association d’exportateurs: le franc fort. Aujourd’hui, la devise suisse est plus forte qu’à l’époque. Et pourtant, le problème se situe ailleurs, notamment au niveau du manque de personnel, explique Claudia Moerker, directrice de l’association Swiss Export. Interview.

Le taux de change est étonnamment calme. Toutefois, le franc est fort. Pourquoi en est-il ainsi?
C’est comme pour les douleurs: on ne ressent que le mal le plus aigu, bien qu’il y ait différents maux. Ce qui fait le plus mal en ce moment, c’est le manque de personnel qualifié.

Dans quelle mesure la pénurie de main-d’œuvre qualifiée fait-elle aussi mal à la branche exportatrice?
Nous sommes fortement touchés! Notre branche a besoin de collaborateurs qui veulent faire le grand saut et souvent travailler en équipe. Il est extrêmement difficile d’en trouver actuellement.

Un emploi dans un environnement international est pourtant passionnant!
C’est aussi mon avis. C’est un grand atout pour le recrutement. Mais il est également clair que les entreprises doivent emprunter de nouvelles voies dans leurs recherches de talents.

Avez-vous des exemples?
Pour la génération Z, par exemple, les valeurs sont importantes. Les entreprises qui ont investi dans la durabilité sont intéressantes pour cette génération. L’entreprise exportatrice qui propose une semaine de travail de quatre jours peut aussi être attractive. La présence sur les réseaux sociaux est par ailleurs décisive. Un membre de l’association a trouvé 30 nouvelles personnes en peu de temps grâce à une campagne créative sur les réseaux sociaux.

L’intelligence artificielle (IA) pourrait aussi remédier à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Où prend-elle de l’importance dans le secteur de l’exportation?
Aujourd’hui déjà, on travaille beaucoup avec des robots dans la logistique. Les entrepôts à hauts rayonnages, par exemple, sont organisés de manière chaotique. Une IA permet d’optimiser l’utilisation de l’espace disponible et de densifier l’entrepôt sans dégrader la disponibilité.

Des emplois sont-ils menacés par l’IA?
Comme dans de nombreux endroits, il y aura un transfert. Les connaissances en informatique seront plus importantes. La logistique vit de la vitesse et d’une grande sécurité des processus. Ces deux exigences appellent à la numérisation. En conséquence, la Brain-Power (ndlr: la force intellectuelle) d’une entreprise devient de plus en plus importante. Mais on ne sait pas encore à quel point et à quelle vitesse cette transformation aura lieu.

L’IA est-elle à l’ordre du jour des réunions du comité de l’association?
Non, elle n’est pas encore à l’ordre du jour. L’IA est comme un tsunami qui est apparu d’un coup: en 1999, il a fallu 3,5 ans à Netflix pour atteindre un million d’utilisateurs. Pour ChatGPT, il a fallu cinq jours lors de son lancement en novembre dernier.

L’IA vous fait-elle peur?
Pour l’instant, l’industrie mise encore plus sur l’automatisation. Mais l’IA va mettre de plus en plus de pression sur l’économie d’exportation pour qu’elle adapte ses modèles commerciaux afin de rester compétitive. Nous avons abordé le sujet en organisant des manifestations lors de la Journée suisse de l’exportation que nous avons récemment planifiée. Objectif: attirer l’attention des PME sur les défis à venir à un stade précoce.

A quoi est due la réticence de nombreuses petites et moyennes entreprises à s’intéresser à cette technologie d’avenir?
La logistique signifie déplacer des marchandises physiques d’un point A à un point B. Elle existe donc depuis que les hommes échangent des marchandises. Beaucoup de choses ont déjà été inventées, ont fait leurs preuves et se sont tout naturellement développées. S’il existe de nouveaux outils, il faut un certain temps pour qu’ils se généralisent.

En fait, ce thème devrait figurer en tête de votre agenda, car l’IA a le potentiel de bouleverser tout le monde du travail.
Il ne fait aucun doute que les applications basées sur l’IA ont également un grand potentiel pour les moyennes entreprises, en particulier dans les domaines de la logistique, de la distribution, de la production, des achats et de la gestion de la clientèle. L’utilisation intelligente et la mise en relation des données permettent d’optimiser les processus tout au long de la chaîne de création de valeur.

Où voyez-vous des opportunités dans l’utilisation de l’intelligence artificielle par les exportateurs?
Comme je l’ai dit, l’IA aide en premier lieu à organiser et à optimiser. Dans notre métier, le temps est essentiel. Et c’est là que je vois un grand potentiel. Une IA internationale pour les formalités douanières bouleverserait effectivement le monde du travail.

Peut-être que l’IA aidera un jour à réduire les obstacles bureaucratiques à l’exportation qui, selon vos propres dires, pèsent lourdement sur vos entreprises?
Oui, les nombreuses réglementations sont exigeantes! Ce serait formidable si l’IA pouvait aider à réduire les obstacles bureaucratiques. Les douanes, les impôts, les lois et les réglementations sont de plus en plus complexes. Les entreprises sont contraintes de vérifier en permanence leurs données et de les structurer de manière à pouvoir établir les multiples évaluations, suivre les processus sans faille et répondre rapidement aux questions. La bureaucratie doit être réduite!

Comment les entreprises exportatrices sont-elles touchées par le déclin de Credit Suisse?
Avant, les entreprises avaient deux options pour leurs opérations bancaires. Maintenant, l’une d’entre elles n’existe plus. Cela signifie aussi un partenaire de sponsoring en moins, un interlocuteur en moins, une offre concurrente en moins. Cela touche tout le monde. Les banques cantonales et les grandes banques étrangères en Suisse s’engouffrent dans la brèche.

Qu’attend l’association de la nouvelle UBS?
Que nous puissions nous appuyer sur elle. Et qu’il n’y ait pas de démantèlement.

Quelle banque était jusqu’à présent la plus importante pour les entreprises exportatrices: l’UBS ou Credit Suisse?
L’UBS est aussi une banque importante pour les PME et l’a toujours été.

Mais votre réponse est surprenante. On dit toujours que Credit Suisse est la banque des entreprises.
Ce n’était pas le cas pour les membres de notre association.

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