Le Conseil national a largement approuvé, par 144 voix contre 43, une motion du Valaisan Benjamin Roduit, élu du Centre, visant à changer le mode de sélection en médecine, mardi 12 mars. Le but est «d’en finir avec des sélections sur d’autres critères que la compétence». Elle veut mettre fin au numerus clausus et qu’il y ait une meilleure offre de places d’études et de stages cliniques.
Blick fait le point sur cette motion avec la conseillère nationale vaudoise socialiste Brigitte Crottaz, médecin spécialiste en diabétologie-endocrinologie et cosignataire du texte. Pour elle, cette démarche ne réglera toutefois pas tous les problèmes. Tant s’en faut. Interview.
Brigitte Crottaz, ouvrir les vannes pour former plus de médecins, ce n’est pas favoriser la quantité à la qualité?
Non, ce n’est pas du tout comme ça que je vois les choses. Mais cela pose d’autres problèmes. Former beaucoup de médecins, c’est bien, on en a besoin. Je pense d’ailleurs qu’on est capable aussi de bien les former. Mais le problème, c’est leur spécialisation. Ça ne sert à rien qu’on forme plus de médecins si c’est pour former plus de spécialistes à la fin. Nous devrions vraiment insister sur la volonté de former plus de médecins de premiers recours.
Peut-on réellement affirmer que beaucoup d’étudiants sont écartés sur des critères non qualitatifs?
Oui. Il est vrai qu’ils sont écartés en partie pour des questions logistiques, avec le nombre de places de formation universitaire et post-graduée plutôt qu’en fonction de leurs compétences intellectuelles ou autres.
C’est-à-dire?
Ils sont écartés parce qu’il n’y a pas assez de place dans les auditoires. C’est un fait avéré: ils se battent véritablement pour s’asseoir sur les bancs des amphithéâtres, du moins dans les universités romandes. Une fois que les études sont finies, il y a l’autre problème qui est la formation en milieu professionnel dans les hôpitaux ou dans les cabinets. Là aussi, on peine à trouver suffisamment de place.
Dire qu’il faut former plus de médecins est donc un vœu pieux?
Oui. D’abord, il n’y a pas beaucoup de place pour les asseoir. Et ensuite, il n’y a pas beaucoup de place pour les former.
Justement, la sélection telle qu’elle est pensée actuellement ne permet-elle pas de garder que les meilleurs étudiants?
L’examen est très sélectif en fin de première année. Il fait correspondre le nombre d’étudiants au nombre de places disponibles. En plus, il est décrié parce qu’il se concentre sur des connaissances de sciences de base et les étudiants pensent que ce sont des éléments qu’ils n’utiliseront jamais, ce qui n’est pas juste. En Romandie, la sélection a donc lieu surtout à la fin de la première année, voire après la deuxième, mais pas forcément au début des études de médecine.
Dans les faits, en assouplissant l’accès aux études de médecine, n’aura-t-on pas finalement une augmentation des étudiants qui échoueront plus tard dans leur cursus après avoir coûté beaucoup d’argents aux contribuables?
Ce n’est pas exclu. Mais même parmi ceux qui ont passé tous ces écueils et qui ont fini leur formation, il y a 30% qui arrêtent de travailler dans le milieu médical après un peu plus d’une année, car ils sont déçus du métier ou qu’ils ne l’imaginaient pas comme cela. Je pense qu’il serait important de déjà résoudre le problème de l’attractivité du métier après la fin des études, plutôt que de payer des études à encore plus de gens pour qu’il y en ait encore plus qui abandonnent à la fin.
Pourtant, vous êtes cosignataire de cette motion.
Je l’ai soutenu parce que je pense qu’il faut y réfléchir globalement. Nous ne pouvons pas continuer à puiser notre stock de médecins chez nos voisins. Ils sont formés par l’argent du contribuable français ou allemand pour ensuite venir travailler en Suisse. J’estime que l’on doit être capable d’assumer de former les gens dont on a besoin chez nous. Ça ne veut pas dire que je ne veux pas de médecins étrangers, mais nous ne devons pas dépeupler les pays avoisinants pour avoir suffisamment de médecins ici.
Il y a déjà un manque de place en université et en stage clinique. Et on demande maintenant de ne pas effectuer de sélection d’étudiants. Comment faire pour éviter un bouchon digne du tunnel du Gothard la veille du week-end de l’Ascension?
On aimerait tous que la proposition de Monsieur Roduit soit viable, mais concrètement, je ne vois pas comment ça va être possible. Une solution pourrait être de créer plus de facultés pour former les étudiants. Encore une fois, les former, leur offrir six ans d’études, qu’ils réussissent brillamment, avant qu’ils n’abandonnent le métier une année plus tard, ce ne sera pas non plus la solution.
Alors comment faire?
Il faut commencer par réfléchir à rendre les études de médecine plus en lien avec la réalité du terrain. Cela permettrait d’avoir plus rapidement une prise de conscience de ce que ça va être le métier. Seuls ceux qui sont vraiment intéressés iraient au bout de leurs études.