Le tribunal a invoqué un récent arrêt de la Cour européenne de justice sur les pays d'origine considérés «sûrs» par les pays d'accueil, en vertu duquel les 12 migrants concernés, originaires du Bangladesh et d'Egypte, ne remplissent pas les critères de rétention prévus par l'accord entre Rome et Tirana. Cette décision a été qualifiée par la Ligue anti-immigration du vice-chef du gouvernement Matteo Salvini d'«inacceptable et grave».
Un tribunal italien a invalidé vendredi la rétention dans des centres albanais des premiers demandeurs d'asile que Rome y a transférés cette semaine, un camouflet pour le gouvernement ultra-conservateur de Giorgia Meloni. Le gouvernement de Mme Meloni, cheffe du parti post-fasciste Fratelli d'Italia (FDI), a signé fin 2023 avec Tirana un accord prévoyant la création de deux centres en Albanie, d'où les migrants secourus en Méditerranée pourront effectuer une demande d'asile.
Mme Meloni et ses alliés de droite et d'extrême droite ont présenté cet accord comme un modèle pour l'Europe et la dirigeante italienne en a détaillé le contenu jeudi à Bruxelles lors d'une réunion informelle avec la Hongrie, les Pays-Bas, l'Autriche ou encore la Grèce, en présence de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
La décision des juges de la section des affaires migratoires du tribunal de Rome constitue donc un revers cinglant pour l'exécutif italien qui a fait de la lutte contre l'immigration irrégulière un de ses principaux chevaux de bataille politiques.
Magistrats accusés d'être politisés
Furieux, son parti Fratelli d'Italia l'a jugée «absurde» sur X, fustigeant des «magistrats politisés». «Impossible de rapatrier qui entre illégalement, interdit de rapatrier les clandestins. Ils voudraient abolir les frontières de l'Italie, nous ne le permettrons pas», a ajouté FDI.
La Ligue, parti anti-immigration du vice-chef du gouvernement Matteo Salvini, a critiqué une décision «inacceptable et grave» et s'en est prise aux magistrats «pro-immigrants», les invitant à «se présenter aux élections». L'accord entre Rome et Tirana, d'une durée de cinq ans, concerne les hommes adultes interceptés par la marine ou les garde-côtes italiens dans leur zone de recherche et de sauvetage dans les eaux internationales.
La procédure prévoit un premier contrôle sur un navire militaire, avant un transfert dans un centre du nord de l'Albanie, au port de Shengjin, pour une identification, puis vers un second centre, sur une ancienne base militaire à Gjader.
«Démonter les centres»
Les seize premiers migrants sont arrivés mercredi en Albanie mais quatre d'entre eux ont immédiatement été ramenés en Italie, deux affirmant être mineurs et deux autres ayant besoin de soins médicaux. Le tribunal italien ayant invalidé la rétention des 12 autres demandeurs d'asile, originaires du Bangladesh et d'Egypte, a invoqué un récent arrêt de la Cour européenne de justice sur les pays de provenance considérés «sûrs» par les pays d'accueil.
Rome a récemment étendu la liste des pays d'origine «sûrs», définis comme des Etats où il n'y a pas de persécution, de torture ou de menace de violence aveugle, à 22 pays. Mais cette liste comprend des pays dont certaines régions ne sont pas jugées «sûres». Or la Cour européenne de justice estime que les Etats membres de l'UE ne peuvent désigner comme sûrs que des pays entiers, et non des parties de pays.
Les 12 migrants doivent donc être transférés en Italie, mais le ministre italien de l'Intérieur Matteo Piantedosi a annoncé vendredi que le gouvernement ferait appel. L'opposition de gauche en Italie, vent debout contre l'externalisation de la politique migratoire, a salué la décision des juges romains.
«Nous l'avions dit, non pas parce qu'on a la boule de cristal mais parce que nous lisons les lois», a ainsi réagi Elly Schlein, la patronne du principal parti d'opposition, le Parti démocrate (PD, centre-gauche). «Maintenant je lance un appel au gouvernement et à Mme Meloni: arrêtez-vous et revenez sur vos pas. Vous devez tout démonter et demander pardon aux Italiens», a-t-elle dit.
«Le spectacle médiatique organisé par le gouvernement Meloni se heurte au droit national et international», s'est aussi félicité sur X l'ONG Sea-Watch Italy qui secourt des migrants en Méditerranée.