Fini En Marche et ses bailleurs parisiens chics. Place au RN et ses bailleurs cathos tradis chics. L’argent a trouvé son nouveau poulain, et c’est Bardella et Le Pen. Au fond, depuis Sarkozy et sa croisière sur le yacht luxueux de Bolloré, le ton est donné.
Les grands donateurs font et défont les candidats. Peu importe le parti ou son étiquette initiale, les politiques sponsorisées privilégient les souhaits des sponsors. Et cela se voit: à mesure qu’il collecte des fonds, le RN adapte son discours aux desideratas de ses bailleurs en «rassurant les patrons».
Les grandes fortunes devraient remercier l'Etat
Comment nos démocraties en sont-elles arrivées là? En favorisant en priorité une classe aisée qui s’est surenrichie et ne veut nullement renoncer à ses privilèges ni entendre parler de solidarité et de redistribution. Et elle n’a jamais eu autant de moyens pour financer les candidats qui l’enrichiront encore plus. Ces mots désuets que sont «redistribution» et «solidarité», qui étaient d’usage courant à l’époque de Mitterand, créateur de l’ISF (l’impôt sur la fortune), sont maintenant classés «extrême-gauche» et même les citoyens les plus modestes ne les comprennent plus, en tout cas moins bien que des discours anti-immigrés.
Pourtant, les grandes fortunes, qui se proclament ultra-libérales, doivent une bonne partie de leur enrichissement à l’aide directe de l’Etat, plus intensive que jamais ces 15 dernières années. Les exemples ne manquent pas. A chaque crise que l’on a connue – subprimes, euro, Covid, Ukraine – un transfert massif de richesses publiques s’est opéré vers les actionnaires et les multinationales, à travers différents canaux:
- En France, les subventions versées par l’Etat aux entreprises du CAC 40 est passé de 65 à 150 milliards depuis 2008 (avec accélération pendant le Covid), sans conditions ni contreparties, tandis qu’elles paient des dividendes record.
- Aux USA, en Europe et en Suisse, les Etats ont sauvé en 2008 et 2023 le système bancaire, sans qu’aucun bonus ou profit lié aux bulles spéculatives ne soit jamais retourné.
- Les baisses d’impôts ont été drastiques: la France est le deuxième pays au monde ayant connu le plus fort recul du taux d’imposition des entreprises entre 2021 et 2022.
- Les injections d’argent dans la bourse ont été phénoménales, et les planches à billets ont doublé artificiellement les gains des investisseurs privés.
- Les financements publics de la recherche pharmaceutique, comme ceux destinés aux vaccins Covid, ont généré d’énormes profits dont la totalité a fini dans les poches des actionnaires privés, créant des dizaines de milliardaires sans aucun retour pour les contribuables qui les ont financés.
En revanche, durant ces mêmes crises, les populations de salariés, commerçants, épargnants et retraités ont subi de plein fouet l’inflation, l’austérité, les faillites, les pertes de gains et le surendettement, sans aucune aide comparable à ce qui est cité plus haut. En gros, ces catégories ont payé l’entier des crises.
Le mécontentement social menace les démocraties
Paupérisation d’un côté, surenrichissement de l’autre. D’où le mécontentement social qui menace aujourd’hui les démocraties. Si la mécanique de répartition des richesses est à ce point détraquée, c’est en raison du renforcement, au fil des crises, de la prise en compte par l’Etat de divers intérêts spécifiques, et de sa négligence de l’intérêt public. L’influence des grands groupes industriels sur les Etats est illustrée par l’explosion de l’activité des lobbies à Bruxelles, très bien documentée par l’Ong Corporate Europe Observatory, par exemple ici, ici, ici et ici.
Cet argent donné au privé ne reviendra plus dans les caisses étatiques. L’erreur irréversible de l’Etat réside là, et le blocage des démocraties réside là. Les politiques redistributives de gauche deviennent une impossibilité pratique, parce que l’hyperrichesse crée fatalement le clientélisme politique. C’est le mécanisme qu’explique très bien Francis Fukuyama lorsqu’il décrit la ploutocratie. Les poches trop bien garnies par un Etat complaisant, les grands donateurs font la gouvernance et possèdent les médias. C’est vrai depuis longtemps aux Etats-Unis, et c’est maintenant une réalité en France. Un candidat gagne de l’audience, fait beaucoup de voix, comme Jordan Bardella? Les donateurs se tournent vers lui. Car qu’est-ce qui manque à une classe aisée qui représente moins de 1% des électeurs? L’audience.
La «galaxie Stérin»
D’abord, il y a Vincent Bolloré et ses 10 milliards de fortune, qui a mis son empire médiatique au service de l'extrême droite. Il s’est impliqué au point d’avoir lui-même orchestré l’alliance entre la droite et l'extrême droite pour assurer le succès du RN. Pas vraiment un succès populaire. Il a tant dépensé sur la visibilité du RN sur CNews, C8, Europe 1, le JDD, que cette véritable croisade peut s’apparenter à du financement occulte, tant la valeur de cette visibilité est grande, la seule chaîne C8 lui coûtant 400 millions en pertes sur 8 ans. Aux côtés de la «galaxie Bolloré», le RN bénéficie de la «galaxie Stérin», selon une enquête du journal «Le Monde».
Pierre-Edouard Stérin, milliardaire catholique conservateur, exilé fiscal en Belgique et opposé au droit à l’avortement, est le nouveau mécène du RN, et voit dans Bardella le poulain idéal. Pour démarcher les milliardaires, le RN s’est entouré de hauts diplômés puisés dans les réseaux catholiques et nationalistes, comme le financier François Durvye, numéro deux de Stérin, ou l’investisseur Alexis Rostand, dont les conseils sont calqués sur les intérêts des grands groupes industriels. Le parti, qui a remboursé ses emprunts russes, s’aligne à présent sur ces riches «catho tradi». Ces donateurs ne sponsoriseront pas de politiques sociales, mais des politiques de préservation de leur patrimoine. Quant à leur idéologie racialiste, elle n’offrira aucun moyen de résoudre la difficile équation française, si ce n’est qu’elle aggravera les tensions.
Au final, le RN, comme Macron, va donc gouverner contre une partie du pays. Il gouvernera pour le sommet et priorisera les intérêts de ses sponsors sur fond d’agitation sociale toujours plus aiguë. Quel que soit le positionnement initial d’un parti, qui a justifié sa popularité d’origine, sa politique ultérieure ne pourra que refléter l’idéologie de ses donateurs. C’est pourquoi, avant de regarder le candidat, c’est à ses donateurs et à leurs idées qu’il faut s’intéresser.
Le rôle des donateurs
En France, le poids des donateurs aisés était devenu particulièrement visible avec l’émergence d’En Marche. En 2017, ils s’étaient mobilisés pour porter au pouvoir Emmanuel Macron, qui avait su rester une page blanche en termes de programme politique, l’adaptant au gré de la collecte. Il avait levé 16 millions à une vitesse sans précédent, grâce aux contributions maximales de nombreux gestionnaires d’actifs et cadres supérieurs basés à Paris. Ce phénomène intervenait après 8 années d’enrichissement boursier aidé par les injections des banques centrales, qui avaient doublé l’indice CAC 40 et quadruplé le S&P 500, une hausse jamais vue sur une si petite période. La première chose qu’avait fait le nouvel élu à l’Elysée était de supprimer l’ISF, sans aucun effet positif pour l’économie française, uniquement pour les fortunes concernées.
Aujourd’hui, la seule nouveauté est que les donateurs aisés sont en train de faire du RN le nouvel «En Marche». C’est cette alliance du RN avec la classe fortunée qui porte Jordan Bardella. Ayant donné les gages qu’il faut sur l’absence de concessions sociales, il satisfait les donateurs, car c’est cela qui les intéresse en premier lieu. Et même aujourd’hui, des patrons de PME s’inquiètent que le programme du RN soit «trop social» et les oblige à payer davantage leurs 50 employés.
Mais qu’ils se rassurent. On assiste à un processus d’embourgeoisement du RN, qui passe par son entente avec LR et Reconquête. Au final, dans une ploutocratie, le parti de facto le plus puissant d’un pays, ça n’est autre que l’argent lui-même. Comment ne pas y voir le prélude d’une véritable crise politique et de gouvernance ces prochaines années?