Jamais mieux servi que par soi-même #20
Se contredire [v.]: action d'être en désaccord avec soi-même, mais pas tout à fait quand même

Le journaliste Malick Reinhard déconstruit, avec humour et philosophie, les clichés qui lui collent à la peau et pointe docilement du doigt la maladresse des «valides» face au handicap. Cette semaine, il confesse avoir lui-même peur du handicap.
Publié: 23.10.2021 à 16:40 heures
Photo: Thomas Meier
Malick Reinhard

Voilà déjà cinq mois que l’on discute de handicap, vous et moi. Dix-neuf chroniques qui ont donné la place à moult personnes engagées dans la cause. J’ai été parfois cynique, d’autres fois critique, souvent philosophe et, le reste du temps, un brin dénonciateur.

Mais, si je me replonge dans mon récit introductif du 1er juin dernier – «Là où tout a commencé», comme disent les publicistes de la décennie passée –, j’y rencontre une envie de raconter la rugosité des personnes atteintes de handicap. Parce que, oui, vous donner des leçons pendant pratiquement une moitié d’année, c’est rigolo. Mais, (mal) heureusement, la rugosité fait partie de notre Histoire. Personne n’est parfait. Pas même la personne en situation de handicap qui se présente devant vous.

L’handicapé du handicap

Je crois bien que je suis un handicapé du handicap. Un gars qui fait partie d’une «communauté», sans véritablement s’y sentir à son aise. Déjà, bien bête serait celle ou celui qui estime juste le fait de parler de communauté. Toutefois, pour autant que, comme le Père Noël, la Petite Souris ou le Grinch, cette communauté existe véritablement, je ne réussis pas à m’y intégrer. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, pourtant. Vous savez quoi? J’ai peur du handicap.

J’ai fait ma scolarité dans une école spécialisée, là où le handicap est la normalité. Parmi ses élèves, des personnes en situation de handicap physique, de handicap mental, quelques fois les deux. Bref, de la différence dans la différence, ça, il y en avait.

Le Carnaval d’Arlequin

D’abord, dans le grand bain de ce que j’appelais «la seule école qui veut bien de moi», le handicap (encore lui), je ne le voyais pas. Un camarade atteint de paralysie cérébrale tentait de me raconter son week-end – les phonèmes déformés par sa déficience –, pendant qu’une autre, alors en train de baver sur son enseignante, hurlait de façon incohérente, en tentant de se faire vomir pour la huitième fois de la journée.

À l’époque, en observant ce tableau digne du Carnaval d’Arlequin de Joan Miro, je ne voyais rien d’anormal. Mes camarades, chacune et chacun avec leurs besoins spécifiques, tout simplement. Aujourd’hui, avec pratiquement une dizaine d’années de recul, au grand dam de l’objectif même de cette chronique hebdomadaire, ce Carnaval d’Arlequin m’effraie.

Le Carnaval d'Arlequin (1924).
Photo: Joan Miró

En effet, voilà deux lustres que je patauge, différent, dans un cercle social pour le moins normatif. Des journalistes, des bobos (ce sont souvent les mêmes) des saltimbanques de la culture, toutes et tous plus ou moins sympathisantes et sympathisants de cette sphère métrosexuelle. Mais, bien malheureusement, au milieu du toast d’avocat et du thé froid menthe dans un pot de confiture avec une paille en inox, je n’ai, dans mon entourage, quasiment personne en situation de handicap.

Un ensemble homogène de personnes?

C’est quand même drôle de se dire que, à me battre pour l’inclusion, j’en oublierais (presque) d’où je viens. Je suis un grand partisan du «déclassement». À mes yeux, les personnes handicapées, non – contrairement au cliché qui a la vie dure –, ne sont pas un ensemble homogène d’êtres. Quitte à fâcher du monde, je suis navré, mais je ne me sens pas obligé, ni même légitime d’ailleurs, de saluer le monsieur en fauteuil roulant qui passe, là, dans la rue, juste à côté de moi. «Tu le connais?», s’excitent souvent mes proches une fois celui-ci derrière. Je devrais? Sous seul prétexte que nous partageons un moyen de locomotion commun?

Et la solidarité, alors? «Vous traversez le même combat, me direz-vous. La moindre des choses serait de vous saluer, en guise de soutien mutuel». Une sorte de complaisance mal placée? Je donne volontiers un sourire sincère à celle ou celui qui me tiendra une porte, me poussera une chaise, bref, me rendra un service. Toutefois, je pense que cette convenance sociale doit s’appliquer à toutes et tous, sans complaisance exacerbée par un point commun inscrit sur le front. Et, pour rappel, je ne vis pas mon handicap comme un «combat». Juste une condition.

Alors, si vous me lisez encore, sachez que, peut-être comme vous, j’ai peur du handicap mental, de l’autisme, de la surdité, de la cécité, de celui qui bave ou de celle qui hurle. Je ne partage, jusqu’à preuve du contraire, avec ces personnes, aucune déficience identique. C’est peut-être votre cas, avec moi. Il existe une sorte de hiérarchisation, bête et méchante, de la situation de handicap. Pourtant, elle existe et rien ne sert de la refouler. Travaillons juste ensemble pour déconstruire les peurs que nous avons.

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