«Le courage consiste à dominer sa peur, non pas à ne pas avoir peur», écrit, en 1995, l’ancien et feu président français François Mitterrand. Quatre ans plus tard, en 1999, l’auteur, tout aussi français, Patrice Lepage ose le contrarier, à coups de «La peur n’alimente qu’elle-même. Alors n’ayons pas peur!» C’est certain, et même sans téléscopeur de sémantiques, la peur, elle fait peur.
La dernière fois que j’ai eu peur, ça devait être hier matin. Actuellement occupé à enregistrer une chronique radio avec des enfants, dont la moyenne d’âge ne dépasse pas 10 ans – «et demi, s’il vous plaît», a dit Keyaan –, je me suis demandé, avant même de m’inquiéter pour tout autre détail logistique complexe, ce que les mômes et leurs parents penseraient de mon image de myopathe figé, hiératique, au langage corporel quasi inexistant. Inerte. Vont-ils me poser des questions? Non. Les convenances sociales qui sont les nôtres, à tort, ne le permettent pas. Faut-il les prévenir en amont du rendez-vous? Pas une bonne idée. Ça ne ferait que de marginaliser davantage la situation. Mais ils vont très certainement avoir peur devant «ça», non?
Un «ça» d’inattendu
Oui. Très certainement. Ils vont avoir peur de ce «ça» d’inattendu. Car, on ne va pas se mentir, lorsque l’on s’imagine son nouvel interlocuteur ou interlocutrice, on se l’imagine rarement «cloué dans un fauteuil roulant» – comme on aime dire, une fois de plus à tort, nous, les journalistes. Pour se construire une image mentale de la personne que l’on va rencontrer, le patronyme est un indicateur important, la voix aussi, la profession parfois. Toutefois, si le handicap ne s’entend pas, rarement il sera suspecté.
Et puis même. Admettons que le handicap soit décelé; reste à savoir comment faire avec cette personne. Faut-il lui serrer la main? Heureusement, le problème est désormais résolu, avec la distanciation physique. Par contre, est-ce qu’elle va comprendre ce-que-je-lui-dis? Et si ce n’était pas le cas? Mon Dieu, tellement de questions.
Parce que, oui, si vous avez fait un peu de psychologie sociale – option comptoir ou brunch dominical –, vous saurez qu’une question laissée sans réponse entraînera immanquablement moult autres interrogations, qui resteront, peut-être, elles aussi, sans réponse. Une belle arborescence, qui finira par entraîner le sentiment de peur devant l’inconnu.
D’où nous vient donc cette peur du handicap?
Mais dis donc Jamy, pourquoi on a si peur des personnes en situation de handicap? Ici, notre Jamy de l’épouvante, c’est Pierre Margot-Cattin, professeur associé à la Haute Ecole de Travail Social (HETS), en Valais. Je suis allé lui demander pourquoi, d’un point de vue historique, nous avons si peur du handicap.
Pour l’ethnologue de formation, il est important, pour comprendre la peur, d’identifier d’abord la cause d’un handicap. «La plupart du temps, les handicaps acquis, soit à la suite d’un accident, soit par le vieillissement, sont mieux acceptés et moins terrifiants, car considérés comme un risque naturel de la vie», explique le Vaudois de 56 ans. «En opposition, les personnes qui, comme moi, sont atteintes d’un handicap congénital font beaucoup plus peur. Car, depuis la Préhistoire, au moment où nous avons appréhendé la notion de mort et de fin, les choses que nous ne maîtrisons pas nous effraient.» Toujours selon Pierre Margot-Cattin, à certaines époques de l’Histoire et dans certaines cultures, la déficience de naissance était considérée comme «une malédiction ou une vengeance des Dieux». Pour exemple contemporain, certaines régions de l’Afrique restent toujours sensibles à ce genre de croyances.
De l’australopithèque à la prise de tête
D’un point de vue anthropologique, la peur du handicap nous viendrait, selon plusieurs recherches, d’une chose, qui, il y a un peu plus de 3 millions d’années, est venue nous séparer du règne animal: la verticalité. Ainsi, pour Pierre Margot-Cattin: «c’est précisément la verticalité elle-même qui a permis à l’Homme de développer l’usage de ses mains, d’inventer des outils et, surtout, de maîtriser le feu. Ce dernier nous a notamment permis de goûter aux protéines cuites, qui, selon nombreux paléontologues, seraient la raison de notre évolution exponentielle comparée à celle du reste des animaux».
C’est donc notre côté carnivore et spéciste qui serait à l’origine de notre crainte du handicap? Calmez-vous, les antispécistes. La peur de la perte de la verticalité, c’est la peur, avant tout, de ne pas être considéré comme un humain. «C’est inconscient, incontrôlé», précise le professeur associé.
Bref, cessons de raconter des salades et terminons cette chronique avec les mots du défunt dessinateur de presse, Charb, qui disait, avant les attentats de Charlie Hebdo, en 2015: «Mieux vaut vivre debout que mourir à genoux». Bon ben mince, finalement, je crois qu’on n’a rien compris.