Jamais mieux servi que par soi-même #6
Traitement [n.m.]: ensemble de soins thérapeutiques dont le résultat est aléatoire

Le journaliste Malick Reinhard déconstruit les clichés qui lui collent à la peau et pointe docilement du doigt (au figuré) la maladresse des «valides» face au handicap. Cette semaine, il se demande si suivre un traitement pour «soigner» sa maladie lui serait utile.
Publié: 10.07.2021 à 10:02 heures
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Dernière mise à jour: 17.07.2021 à 11:33 heures
Photo: Thomas Meier
Malick Reinhard

Vous avez déjà dû choisir entre le hasard et le hasard? Choisir un quelque chose d’aléatoire, situé, là, entre peut-être et c’est possible. Un déchirement entre mourir plus tard ou crever ultérieurement. Une sorte de dilemme contemporain dont les enjeux sont tantôt grisants, tantôt affolants.

Nous sommes le 9 février 2020, il est 21h14. Sur RTS Un, l’émission «Mise au point» s’intéresse au «médicament le plus cher du monde», le Zolgensma. 2 millions de francs, c’est le prix de ce traitement miracle proposé par Novartis. Une thérapie à l’injection unique qui aurait pour but de «stabiliser, voire améliorer le diagnostic des patients atteints d’amyotrophie musculaire spinale», assure le groupe pharmaceutique dans un communiqué.

Un médicament qui fonctionne peut-être

L’amyotrophie musculaire spinale, on me l’a diagnostiquée il y a de cela un peu plus de 20 ans. Sa particularité? Elle évolue, avec mon vieillissement «naturel», et entraîne, petit à petit, la mort de mes motoneurones. Les motoneurones, aussi appelés neurones moteurs, ce sont les cellules qui contrôlent les mouvements du corps, qui assurent la (bonne?) liaison entre l’ordre donné par le cerveau et la réalisation effective du mouvement – cette minute santé vous a été proposée par ma volonté autocentrée de poser les bases. Désolé.

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Inutile de vous dire que le jour où on m’a proposé un médicament qui pourrait ralentir l’évolution de ma pathologie (peut-être), me redonner un peu de force (peut-être), améliorer ma qualité de vie (peut-être), je n’ai pu m’empêcher de me dire: ça va révolutionner ma vie. Peut-être.

En ai-je vraiment besoin?

Il est désormais 21h29. Je regarde Newton, mon chat de bobo qui se respecte. Il dort. Catherine Sommer, l’animatrice du programme télé de mon dimanche soir, accueille le conseiller d’État genevois en charge de la santé, Mauro Poggia. J’observe son labial, mais je n’intègre aucune de ses paroles. Non, je n’entends rien. Au plus profond de moi, je suis soufflé. Je ne me suis jamais senti malade. Je ne me suis jamais senti victime d’une terrible injustice. Je suis moi, avec mes propres paramètres – au même titre que je pourrais être blond, aux yeux bleus, avec une forte dyslexie phonologique. Donc, une chose est sûre: je n’ai jamais pensé, ni même espéré, qu’un jour, durant mon existence, on me présente un médicament pour me faire «aller mieux». Parce que, je vous remercie, mais, je vais bien. Toutefois, qu’en sera-t-il demain?

Je suis un grand sceptique – déformation professionnelle oblige. Je dois constamment remettre en question. Absolument tout. Alors, un médicament inespéré, inattendu et soi-disant «miraculeux», ça interroge. Et si ça ne fonctionnait pas? Et si les effets secondaires du traitement venaient péjorer ma qualité de vie? Mais, au fait, en ai-je vraiment besoin? Suis-je malheureux? Et si je refuse aujourd’hui cette thérapie, plus tard, est-ce qu’il sera trop tard pour espérer des effets? Ce genre de questions, vous vous les posez aussi. À une échelle différente, certes. Mais depuis l’arrivée du vaccin contre le Covid-19, certaines personnes se sont interrogées d’une façon similaire.

517 jours plus tard, cette réflexion, elle n’est pas terminée. Loin de là. Les assurances-maladie, en revanche, depuis juillet 2021, se sont engagées à rembourser un traitement semblable, le Spinraza, à hauteur de 600'000 francs pour la première année d’injections. Le Zolgensma, désormais autorisé chez nos voisins français et allemands, est en passe d’être prochainement homologué en Suisse. Mais le doute subsiste. Tout repose, sempiternellement, dans cette foutue balance bénéfices/risques.

Choisir les bénéfices

L’auteure-compositrice-interprète Kimka, elle, ne se pose plus de questions. Elle a choisi les bénéfices. Kim Knébel (son nom à la ville, ndlr.) a fait son choix: ce traitement, elle le veut. «D’habitude, j’essaie de ne pas trop penser à plus tard. Mais, le hasard a fait que l’une de mes amies françaises suit ce traitement depuis plusieurs semaines. Elle n’a pas d’effets secondaires et pense avoir même retrouvé un petit peu de force. C’est génial!», argumente, émue, la Lausannoise de 34 ans.

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Depuis son salon, Kimka m’assure être sur liste d’attente pour suivre cette thérapie à l’Inselspital, l’hôpital universitaire du canton de Berne: «Voilà deux ans que mon médecin m’a proposé le Spinraza. J’ai immédiatement donné mon feu vert. À la suite de cela, il m’a promis que ma demande avait été transmise à Berne. Depuis, plus de nouvelles».

De son côté, l’hôpital cantonal confirme que de nombreux patients et patientes sont dans l’attente. Ce dernier explique que, notamment en raison de la situation épidémiologique, les processus ont été ralentis. Kim Knébel relativise: «Je comprends tout à fait la situation et il est important de donner une certaine priorité aux enfants. Physiquement, il leur reste plus à perdre. Donc, d’un point de vue médical, plus à gagner. Moi, mon principal objectif, c’est avant tout de conserver ma force respiratoire, afin de pouvoir continuer à chanter et parler normalement». Une clairvoyance qui a de quoi remettre sérieusement en question mes remises en question.

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