Obscurité, froid et peur. Voici trois des «armes» auxquelles a actuellement recours Vladimir Poutine pour affaiblir l’Ukraine en menant des attaques ciblées sur l’approvisionnement en énergie. Dans de nombreuses régions du pays, la population est privée d’électricité et de chauffage, alors que l’hiver ukrainien les accable avec des températures bien en dessous de zéro.
Du côté des armes matérielles traditionnelles, l’armée russe a notamment recours à des missiles high-tech de type Kh-101. Leur particularité: ils fonctionnent en partie grâce à une puce électronique de fabrication suisse.
Une arme cruciale dans le conflit
Une équipe de chercheurs du groupe de réflexion britannique Royal United Services Institute (Rusi) a examiné les restes de missiles tombés en Ukraine. Elle y a trouvé des microprocesseurs de STMicroelectronics. Ce grand groupe, qui possède des sites de production en Italie, en France et à Singapour, a son siège à Plan-les-Ouates dans le canton de Genève.
Les projectiles, tirés par un avion, mesurent sept mètres de long, transportent une demi-tonne d’explosifs et offrent une portée allant jusqu’à 2800 kilomètres. Puisque les Kh-101 volent à une altitude particulièrement basse, les systèmes radars ont du mal à les détecter. Ces missiles sont donc une arme cruciale pour les Russes dans la guerre menée contre leurs voisins.
L’entreprise genevoise reste muette
Les Kh-101 ont été utilisés pour la dernière fois à grande échelle le 23 novembre, lorsque Moscou a bombardé Kiev, plongeant la capitale dans le noir. Plusieurs personnes avaient perdu la vie dans cette attaque.
L’entreprise genevoise sait-elle que ses puces électroniques sont intégrées dans les missiles de croisière du Kremlin? Le groupe responsable n’a pas souhaité répondre aux sollicitations du SonntagsBlick.
La Confédération, en revanche, a souhaité prendre position. Antje Baertschi, porte-parole du Secrétariat d’État à l’économie (Seco), confirme les analyses du groupe Rusi: «Nous avons connaissance de composants en lien avec la Suisse qui ont été retrouvés dans des systèmes d’armes russes en Ukraine.»
Le Seco n’a, en revanche, pas souhaité s’exprimer sur les différents fabricants impliqués. Les recherches menées jusqu’à présent ont montré que les composants étaient des biens industriels de masse qui n’étaient pas soumis à des restrictions commerciales jusqu’au début de la guerre fin février.
La Suisse, 4e fabricant de composants dans les armes russes
Tout a changé le 4 mars, lorsque Berne a interdit la vente de nombreuses pièces électroniques en Russie. Les mesures ont été renforcées à plusieurs reprises. La porte-parole du Seco, détaille ce point: «Les biens seraient désormais interdits à la livraison et à la vente […] en raison des sanctions.»
De plus, comme les puces électroniques de l’entreprise genevoise sont probablement aussi fabriquées sur des sites de production à l’étranger, elles sont également soumises aux règles d’exportation d’autres pays.
La puce identifiée n’est pas le seul composant suisse présent dans le matériel de guerre de Vladimir Poutine. Les chercheurs du groupe Rusi concluent dans leur rapport: «La Suisse est le quatrième fabricant le plus important de composants trouvés dans les systèmes d’armes russes.»
Outre l’entreprise genevoise STMicroelectronics, les Britanniques mentionnent le groupe U-blox de Thalwil, une entreprise créée et développée à l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). Comme le SonntagsBlick l’avait déjà révélé en juin, les drones Orlan de Moscou volent avec un module GPS de cette entreprise. U-blox se défend en assurant qu’il est difficile de savoir «où les éléments atterrissent en fin de parcours».
L’électronique occidentale est essentielle à la guerre menée par Vladimir Poutine. Moscou en a besoin pour fabriquer de nouveaux drones et missiles. Mais à cause des interdictions de livraison, la Russie manque de plus en plus de composants.
Manque de semi-conducteurs et de connecteurs
Le journal américain «Politico» a récemment rendu publique une liste confidentielle de l’appareil administratif de Moscou sur laquelle figurent des composants dont le pays a un besoin pressant. Les composants recherchés sont avant tout des semi-conducteurs, des transformateurs, des connecteurs et des transistors. Comme le Kremlin s’est appuyé ces dernières années sur des fournisseurs occidentaux, la Russie ne serait pas en mesure de fabriquer elle-même ces pièces.
Des produits suisses figurent également sur la liste. La Russie recherche «en priorité» les connecteurs de l’entreprise schaffhousoise TE Connectivity. Contacté, le fabricant suisse n’a pas souhaité s’exprimer.
Le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin s’est montré optimiste après les attaques du 23 novembre. Il a affirmé que la Russie «ne serait pas en mesure de reproduire rapidement des munitions de précision en raison des restrictions commerciales imposées aux micro-puces» et autres composants.
Un rapport du groupe de recherche anglais Conflict Armament Research (CAR) datant du 5 décembre met désormais en doute la déclaration de Lloyd Austin. Les experts en armement ont examiné des débris de missiles russes Kh-101 que le Kremlin a fait tirer sur l’Ukraine il y a un mois et ont constaté qu’un des engins avait été fabriqué entre juin et septembre 2022, un autre entre octobre et novembre 2022. On ne sait pas si la Russie avait encore en stock les composants occidentaux ou si ceux-ci sont entrés en Russie malgré les sanctions.
Une chose est sûre: Vladimir Poutine poursuit sa guerre d’usure. Vendredi, la Russie a lancé une nouvelle vague d’attaques et a de nouveau paralysé une grande partie de l’alimentation électrique ukrainienne. L’obscurité, le froid et la peur continuent de sévir. Et avec eux, des morts continuent d’être recensés.