«Il y aura certainement des expulsions forcées», déclare le député Gunars Kutris à Riga à propos de la situation des Russes en Lettonie. Des centaines de personnes vivant dans ce pays de l'UE depuis plusieurs décennies et ne parlant pas letton pourraient être concernées par ces expulsions. «Cela se verra dans la pratique», estime le chef de la commission de la citoyenneté, de l'immigration et de la cohésion sociale. À l'avenir, toute personne qui ne pourra pas faire valoir ses connaissances en letton lors d'un examen devra quitter le pays. Cela pourrait concerner jusqu'à 3000 personnes.
En Russie, l'appareil du pouvoir parle de «discrimination» dans un pays de l'UE qui s'est engagé à respecter les droits des minorités. Environ un quart de la population lettone, qui compte 1,9 million d'habitants, appartient à la grande minorité russophone.
Les tensions sont toujours plus fortes entre le pays balte et la Russie. L'ambassadeur russe à Riga avait été expulsé le 22 janvier et en réaction, la Russie a réservé le même sort à son homologue letton cinq jours plus tard. Moscou a déploré «la totale russophobie de l'État letton, en ajoutant que, l'entièreté des responsabilités des tensions était sur les épaules de dirigeants de Riga.»
Poutine parle d'un traitement de «porcins»
De nombreuses personnes, également dans les autres États baltes, l'Estonie et la Lituanie, sont apatrides ou possèdent un passeport russe. Ils sont arrivés dans les pays baltes à l'époque communiste, lorsque les trois républiques faisaient obligatoirement partie de l'Union soviétique. Depuis des années déjà, Moscou, autrefois centre du pouvoir pour les pays baltes, se plaint la discrimination des Russes.
«Dans les États baltes, des dizaines de milliers de personnes sont déshumanisées, elles sont privées de leurs droits les plus fondamentaux», s'est insurgé le chef du Kremlin Vladimir Poutine fin janvier lors d'une commémoration de la Seconde Guerre mondiale. Il avait déjà parlé auparavant d'un traitement «porcin» des Russes en Lettonie. Il reproche au gouvernement de Riga d'exploiter politiquement le climat général d'hostilité à l'égard de la Russie pour s'en prendre à cette minorité malaimée depuis longtemps.
Les détenteurs d'un passeport russe qui souhaitent continuer à vivre légalement en Lettonie doivent désormais demander un statut de résident permanent et prouver leurs connaissances en letton en passant un test linguistique. La date limite était fixée au 1er septembre 2023. Ceux qui ont échoué à l'examen peuvent demander une prolongation de deux ans de leur permis de séjour et repasser le test.
La Lettonie rejette les accusations de la Russie
Tous ceux qui ne se sont pas présentés d'eux-mêmes aux autorités ont reçu un courrier de l'Office des migrations et risquent d'être expulsés. Ces procédures arrivent suite à des modifications de la législation lettone sur les étrangers. Elles avaient été décidées à l'automne 2022 en réaction à l'agression menée par la Russie sur l'Ukraine.
Derrière ces mesures se cachent également des questions récurrentes: quelle est la loyauté de la population d'origine russe depuis l'indépendance retrouvée de la Lettonie en 1991? Et quel sera son comportement en cas de conflit? On craint que la Russie les instrumentalise et les récupère dans son camp. Ou même, comme en Ukraine, justifier une invasion par la nécessité de protéger ses compatriotes à l'étranger.
Le président letton, Edgars Rinkevics, a contredit les affirmations de Poutine et de la propagande d'État russe. «Nous savons tous très bien que les Russes vivant en Lettonie ne font pas l'objet de discriminations. Mais il y a des exigences tout à fait légitimes: la connaissance de la langue nationale est la base dans tout pays.»
Traitement controversé des retraités d'origine russe
Mais c'est surtout dans l'est du pays, à la frontière avec la Russie et la Biélorussie, que le russe est la langue quotidienne et familière. C'est aussi pour cette raison que plus de 60% des participants échouent la première fois aux tests de langue pour le niveau A2. Les exigences sont controversées. Les critiques font remarquer que la réglementation et les éventuelles expulsions touchent essentiellement des personnes âgées et vulnérables. Une catégorie de la population qui ne représente pas une menace pour la sécurité nationale. Beaucoup ont déjà passé toute leur vie en Lettonie.
Ceux qui parlent avec des Lettons, par exemple dans la vieille ville de Riga, entendent toujours dire qu'il y a eu suffisamment de temps pour apprendre la langue. Ce sont les jeunes qui devraient faire des efforts. Mais le gouvernement aurait pu exiger cela, il y a 30 ans déjà, après l'indépendance. C'est une «connerie» d'expulser des personnes âgées, dit par exemple le retraité Gunars à l'agence de presse allemande dans la rue. Laura, une jeune passante, estime qu'«il est évident qu'une grand-mère âgée n'apprendra pas soudainement le letton du jour au lendemain.»
Selon leurs propres dires, certaines personnes concernées ne savent d'ailleurs absolument pas où elles iraient après une expulsion de Lettonie. Certains participants aux examens de langue lettone ont déclaré à l'agence de presse qu'ils n'étaient pas du tout originaires de Russie et qu'ils ne possédaient pas non plus de famille dans le pays. Ils avaient autrefois acquis la citoyenneté russe avant tout pour toucher une pension de là-bas. Mais certains vivent désormais dans la misère, car ils n'ont plus de statut de séjour légal sans test linguistique. Ils n'ont donc plus droit aux prestations sociales.
La Russie crée un programme pour ses citoyens à l'étranger
Mi-janvier, l'expulsion de Boris Katkow (82 ans), qui avait vécu plus de 50 ans en Lettonie, a fait sensation en Russie. Le président d'une organisation de coopération russo-lettone avait été expulsé parce que, selon les autorités de Riga, il représentait un risque pour la sécurité nationale du pays.
Boris Katkow a dû quitter les treize membres de sa famille, dont ses petits-enfants qui sont quasiment tous des citoyens lettons, a rapporté le journal gouvernemental «Rossijskaja Gaseta». «J'ai tout simplement été déposé à la frontière», a-t-il déclaré en larmes dans une vidéo. Il a trouvé refuge dans la région russe voisine de Kaliningrad, située sur la mer Baltique.
Il n'est pas question pour Poutine d'envahir les pays baltes de l'OTAN avec l'armée pour protéger les citoyens russes. Il a au contraire ordonné l'élaboration d'un programme de rapatriement des Russes en cas de «déportation illégale». Un nouvel institut pour le rapatriement doit aider les personnes d'origine russe qui vivaient déjà de manière permanente à l'étranger avant le début de la guerre, le 24 février 2022, à s'installer dans leur pays ou dans celui de leurs ancêtres.
(avec l'ATS)