Le massacre brutal de Boutcha en Ukraine a choqué le monde entier, les chefs d'État occidentaux inclus. Le chancelier allemand Olaf Scholz parle de «crimes de l'armée russe». Pour sa ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock, les images prouvent «l'incroyable brutalité des dirigeants russes» et une «volonté d'extermination qui dépasse toutes les frontières».
Boris Johnson et Emmanuel Macron se sont également montrés choqués par ces «attaques abjectes». Le Premier ministre français a assuré que «ceux qui ont commis ces crimes devront répondre de leurs actes». Le Premier ministre britannique Boris Johnson a quant à lui promis de «faire tout ce qui est en mon pouvoir pour affamer la machine de guerre de Poutine».
L'UE rechigne à couper les importations de gaz
L'UE a, certes, annoncé un nouveau train de sanctions contre la Russie. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, propose entre autres une interdiction d'importation de charbon russe, un blocage des ports pour les navires russes ainsi que d'autres restrictions commerciales.
Les États membres ne peuvent toutefois pas se résoudre à la mesure qui serait la plus efficace: l'arrêt total des importations de pétrole et de gaz en provenance de Russie. Un tel embargo toucherait pourtant «le cœur même de la puissance russe», comme l'a déclaré Janis Kluge, spécialiste de la Russie à la Fondation Science et Politique, au journal télévisé allemand «Tagesschau».
Moscou s'en met plein les poches?
Le président Vladimir Poutine a d'abord et avant tout édifié son pouvoir autour du domaine énergétique, selon Janis Kluge. Les revenus - très probablement en hausse à l'heure actuelle - issus du commerce du gaz et du pétrole permettent aux recettes fiscales de continuer à affluer: «le trésor public russe, dont les recettes énergétiques représentent environ la moitié, pourrait même dégager un excédent cette année. Cela permettrait d'adapter les retraites et les salaires des fonctionnaires (ndlr: à la conjoncture actuelle), et de payer l'armée».
Ainsi, un boycott de l'énergie russe toucherait le Kremlin en plein mile. Pourtant, l'UE rechigne à déclencher ce levier. Ce n'est pas un hasard: l'Europe étant sous perfusion énergétique russe. Actuellement, les États de l'UE déboursent entre 700 millions et un milliard de dollars US pour l'énergie russe... par jour. L'Europe s'expose ainsi au reproche de financer indirectement la guerre d'agression menée contre l'Ukraine.
La faute à Berlin
Ce reproche s'adresserait en premier lieu à l'Allemagne. 43 milliards de mètres cubes de gaz naturel russe s'écoulent vers notre voisin, couvrant ainsi plus de 50% de ses besoins totaux. Le gaz naturel y est massivement utilisé non seulement pour le chauffage, mais aussi pour l'industrie chimique.
Deux poids deux mesures, donc. La ministre des Affaires étrangères Baerbock, qui déplore «l'incroyable brutalité» de Poutine, affirme dans le même temps qu'un embargo sur le pétrole et le gaz russes ne permettrait pas de mettre fin « à cette tuerie demain». L'Allemagne se contente d'affirmer qu'elle va «massivement mettre en œuvre» l'abandon complet de l'énergie russe.
C'est aussi en raison de la grande dépendance de l'Allemagne et de l'UE vis-à-vis des énergies russes que la Russie n'a pas été, au final, complètement exclue des paiements internationaux. Car il faut bien la payer, cette énergie.
La Pologne se pose en modèle
La Commission européenne n'ose pas s'attaquer à un embargo sur le pétrole et le gaz, mais souhaite uniquement arrêter les importations de charbon. Explication: certes, l'année dernière, 57% des produits à base de charbon importés en Allemagne provenaient de Russie. Mais le charbon peut être remplacé bien plus facilement que le gaz.
Et pourtant, des solutions alternatives sont possibles, comme le montrent plusieurs cas avérés. Comme l'Allemagne, la Pologne, par exemple, dépend de l'énergie russe. En 2019, elle a importé 61,5% de son pétrole et 55% de son gaz de Russie.
Aujourd'hui, la Pologne fait partie des partisans les plus véhéments d'un embargo. Et elle a pris ses précautions: dès 2019, Varsovie a annoncé qu'elle cesserait d'importer du gaz russe dès que le contrat existant avec Gazprom expirerait, fin 2023. La pays slave mise désormais sur le gaz liquide en provenance des Etats-Unis et de Norvège.
Rome prend le virage
L'Italie est elle aussi tributaire de gaz russe. Elle est le deuxième plus gros acheteur après l'Allemagne – 3% du gaz italien étant importé de Russie. Cela semble peu, mais c'est en fait énorme, car le gaz couvre près de 42% des besoins énergétiques totaux du pays.
L'Italie importe également 13% de son pétrole de Russie. Rome s'est néanmoins montrée prête à soutenir un embargo. «Nous ne ferons pas partie de ceux qui ferment les yeux sur les crimes de guerre, et disent ensuite que les intérêts économiques priment».
(Adaptation par Daniella Gorbunova)