Et si la terreur et le chaos rendaient paradoxalement enfin possible la reprise de pourparlers de paix entre Israël, les Palestiniens et les pays arabes qui les soutiennent? L’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine veut croire que la relance d’un processus politique sur les cendres de Gaza n’est pas impossible. Mieux: la paix peut ressusciter de cette tragédie. Il nous explique pourquoi.
Hubert Védrine, avez-vous perdu espoir comme tant d’acteurs? La guerre totale entre Israël et le Hamas à Gaza va-t-elle devenir une guerre éternelle?
Le plus important, alors que nous parlons et sans négliger l’importance de l’aide humanitaire, est de remettre au premier plan de nos priorités un processus politique crédible entre Israël et les Palestiniens, même s'il avait été de facto abandonné. Le président Biden a eu des mots précis en mentionnant une voie vers un État palestinien et en faveur d’une reprise indispensable du processus de paix, alors qu’il n’y est pas du tout contraint. Son conseiller pour la sécurité Jake Sullivan l’a dit aussi. Le président Macron également. J’ai vécu personnellement toutes les étapes de ces dernières décennies. L’invention, le lancement, puis le sabotage du processus de paix par les pires éléments des deux camps. L’abominable boucherie commise par le Hamas et la guerre atroce à Gaza sont le résultat de ce sabotage. Le terrorisme palestinien et le messianisme juif ne nous mènent qu’à la destruction. Il faut le dire. Et il faut maintenant, comme l’écrit l’éditorialiste du New York Times Thomas Friedman que les meilleurs des Israéliens et les meilleurs des Palestiniens se remettent à imaginer l’avenir. C’est cela qui est le plus important.
On peut bien sûr en rêver, mais…
Mais quoi? Il faut faire le maximum dès maintenant en termes humanitaires, c’est évident. Mais il est indispensable de reparler de paix, et tout faire pour relancer un processus politique et le crédibiliser. Soyons lucides: Benjamin Netanyahu, tout comme les islamistes, vont tout faire pour tuer dans l’œuf ces efforts. Le Premier ministre israélien va continuer de mener méthodiquement l’inverse de ce qui peut mener à la paix. Et bien, il faut résister: lutter pour recréer, refabriquer une autorité palestinienne crédible, à l’opposé de ce que l’on a fait depuis quinze ans. Cela paraît surréaliste, mais ce n’est pas impossible. Les Israéliens ont eu la preuve, le 7 octobre, que la politique la plus intransigeante, la plus dure, la plus répressive à l’égard des Palestiniens n’assure même pas leur sécurité! Le pari des accords d’Abraham entre Israël et les pays arabes est stoppé. Cette politique envers les Palestiniens, et le pourrissement à Gaza, ont au contraire apporté sur un plateau au Hamas et à l’Iran la bombe à retardement qu’ils ont choisie de faire exploser.
Peut-on recommencer à parler de paix sous les bombes, avec plus de deux cents otages détenus par le Hamas et une population palestinienne aux abois?
Il n’est pas impossible que ce drame horrible fasse bouger les lignes. Ça se joue maintenant. Il faudrait que les États-Unis de Biden et des pays tels que la Jordanie, l’Égypte et même l'Arabie saoudite s’appuient, pour y parvenir, sur un nouveau leadership israélien et palestinien. La France, dans ce mouvement, peut être extraordinairement utile, grâce aux relations fortes qu’elle entretient avec toutes les entités et tous les acteurs. Je ne crois pas en revanche, au-delà de l'aide humanitaire, à l’intervention de l’Union européenne. Elle est trop divisée là-dessus. Les Européens se mettront toujours d'accord pour se borner à prendre des positions. L’UE ne peut pas élaborer une vraie politique. D’autres pays européens pourraient par contre, avec la France, apporter leur appui.
Sauf qu’il faut convaincre Israël, et les Palestiniens…
Sur Israël, personne n’a de levier. Netanyahu va tout faire pour garder le contrôle, car ça le protège de la prison. L’État hébreu peut sécuriser la frontière avec Gaza, mais il ne doit pas en reprendre le contrôle. C’est impensable. Il faut réinventer une représentation palestinienne nouvelle, la crédibiliser et en faire un partenaire. La clef, en Israël, c’est le leadership. Une majorité d’Israéliens doit rompre avec la dérive messianique ultranationaliste et l’assumer.
Et donc, quelle solution pour Gaza réduite en ruines? Un protectorat international comme ce fut le cas au Kosovo?
Il faut se méfier de l’analogie avec le Kosovo de juin 1999. A l'époque dans la résolution de l'ONU, il n'y avait pas l'indépendance mais l'autonomie substantielle, ce qui nous avait permis d'avoir à nouveau la Russie avec nous. Mais oui, l’idéal serait de repasser par une résolution des Nations unies, avec création d’une nouvelle autorité palestinienne. Si les Américains peuvent imposer cela à Israël, cela peut relancer une dynamique. Les Égyptiens, les Saoudiens, la Jordanie, sortiraient de la logique des accords d’Abraham sans la Palestine, ce que leur population ne soutient pas. Leurs peuples sont en ébullition. Il faut tout faire pour qu’un espoir de paix ressuscite des cendres de Gaza.