La France dans les urnes
Marine Le Pen, la lutte finale contre la retraite politique

L'ex finaliste de l'élection présidentielle est la grande perdante du duel Mélenchon-Macron pour les législatives des 12 et 19 juin. Une défaite liée au mode de scrutin majoritaire, mais surtout à l'isolement de son parti, le Rassemblement national.
Publié: 10.06.2022 à 12:53 heures
|
Dernière mise à jour: 17.06.2022 à 16:53 heures
Les législatives vont-elles précipiter une retraite de Marine Le Pen?
Photo: AFP
Blick_Richard_Werly.png
Richard WerlyJournaliste Blick

Logiquement, c'est Marine Le Pen qui devrait être la cheffe incontestée de l’opposition à Emmanuel Macron. Son parti, le Rassemblement national (RN), devrait se préparer à gouverner la France en cas de victoire aux élections législatives des 12 et 19 juin.

Forte des 13,4 millions de voix (41,5% des suffrages contre 58,5% pour le président sortant) obtenues au second tour de la présidentielle française, Marine Le Pen a démontré, le 24 avril, qu’elle est une figure incontournable de la politique hexagonale.

Mieux: sa «remontada» électorale, alors que les commentateurs prédisaient un coude à coude avec l’ex polémiste Éric Zemmour (7% des voix), a confirmé sa capacité à surmonter le pire et à démentir ses détracteurs. Difficile, dans ces conditions, d’imaginer, à 53 ans, son départ anticipé de la scène et des coulisses du pouvoir.

La grande perdante annoncée du scrutin

La réalité est pourtant aux antipodes. À deux jours de l’ouverture des urnes pour le premier tour des législatives françaises ce dimanche, Marine Le Pen est annoncée par tous les instituts de sondage comme la grande perdante de ce scrutin qui désignera les 577 députés de la nouvelle législature 2022-2027.

Au mieux, on lui prédit une trentaine d’élus malgré les 569 candidats investis par le RN. Au pire, moins que la dizaine de députés obtenus en 2017 (il en faut 15 pour constituer en France un groupe parlementaire), dans la foulée de sa précédente finale présidentielle perdue contre Emmanuel Macron (66,10% contre 33,9%). Et ce, alors que l’un de ses thèmes favoris (l’ordre et la sécurité) est aux avant-postes du débat public depuis le chaos survenu au Stade de France le 28 mai et les tirs meurtriers de policiers à Paris, samedi 4 juin.

200 sièges pour la NUPES?

Rien à voir avec les projections en sièges pour la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (NUPES) de Jean-Luc Mélenchon, créditée dans les meilleurs sondages de prés de 200 sièges. Pas de comparaison non plus avec «Ensemble» la coalition présidentielle pro-Macron, qui pour l’heure et malgré des sondages inquiétants, semble encore capable d’atteindre les 289 élus indispensables pour obtenir la majorité absolue et gouverner le pays sans avoir à négocier le soutien d’autres formations.

L’avenir promis à Marine Le Pen, donnée victorieuse dans sa circonscription nordiste de Hénin-Beaumont (Pas de Calais) – une ville détenue depuis 2015 par le Rassemblement national – est au contraire celui… de la retraite. Comme si la page législative qu’elle s’apprête à tourner devait, plus ou moins, sonner le glas de sa carrière commencée à la fin des années 1990 dans l’ombre de son père Jean-Marie.

Un parcours semé d'embûches

Exit donc Marine, deux fois finaliste de la présidentielle, malgré ses trois millions de voix gagnées entre 2017 et 2022 et le succès de sa campagne nationale de proximité basée sur le pouvoir d’achat? Possible. Car trois facteurs jouent en sa défaveur.

Le premier, hantise du Front national (l’ancien nom du Rassemblement national), est le mode de scrutin majoritaire des législatives (un candidat par circonscription, élu au second tour avec plus de 50% des suffrages exprimés) qui favorise les partis bien implantés localement ou capables de conclure des alliances électorales.

Le second, après la présidentielle, est le syndrome de la défaite qui lui colle à la peau, malgré sa résistance victorieuse à l’assaut d’Eric Zemmour dans ce camp politique propice aux batailles violentes qu’est l’extrême droite française.

Le troisième est… Marine Le Pen elle-même. Une passion politique émoussée. La conviction que la passation de relais est possible grâce à l’ascension inexorable de son dauphin (actuel président du parti et compagnon de la fille de Marie-Caroline Le Pen, sa sœur aînée de Marine) Jordan Bardella, âgé de 26 ans. Avec, en plus, le sentiment du devoir accompli après deux duels présidentiels et le maintien d’un parti uni, malgré les défections de quelques-uns de ses élus et proches pour le parti «Reconquête» d’Eric Zemmour.

Pas d’éternelle revanche à prendre

À la différence de son vieil adversaire Jean-Luc Mélenchon, 70 ans, Marine Le Pen n’a surtout pas une éternelle revanche à prendre. Le leader de la NUPES, formidable tacticien politique qui a raté de 400'000 voix le second tour de la présidentielle de 2022, n’a pour l’heure réussi qu’une partie de son pari.

Il a bel et bien tué le parti socialiste, son ancienne formation politique. Mais il n’a toujours pas mis la main sur ce pouvoir que sa formation de militant trotskiste dans les années 1970 l’a conditionné à emporter, coûte que coûte et quel qu’en soit le prix.

Rien de tel chez Marine. L’intéressée, amie des chats avec lesquels elle aime se faire prendre en photo, a grandi aux côtés d’un père résolu à ne jamais exercer ce pouvoir. Jean-Marie Le Pen, 93 ans, fut un tribun protestataire aux accents putschistes, résolu à bousculer la République plus qu’à la conquérir. Or cela laisse des traces.

La campagne du Rassemblement national, centrée presqu’uniquement sur le pouvoir d’achat après avoir pendant longtemps focalisé sur les dangers de l’immigration et la sécurité, en apporte la preuve. Aussi bien doté en électeurs soit-il, le parti n’a encore jamais apporté la preuve qu’il était prêt à diriger la France. D’autant que dans la lumière de la campagne électorale, ses liens financiers avec la Russie de Vladimir Poutine sont devenus intenables.

Une dirigeante de parti lassée des duels

Impossible, dans ce contexte, de se faire une place dans le très masculin duel Mélenchon-Macron. En bataille contre l’horizon de sa propre retraite politique, Marine Le Pen est finalement le produit de ses efforts de normalisation de sa formation politique, qu’elle s’est employée avec succès à sortir de l’extrême-droite la plus dure.

L’héritière de la famille Le Pen est devenue une élue professionnelle de terrain, maintenant repliée sur la défense des territoires et des Français «ordinaires» que les élites parisiennes réprouvent et ignorent.

Elle savoure l’échec de «Reconquête» et la trahison ratée de sa nièce Marion Maréchal Le Pen, passée avec fracas chez Éric Zemmour en pleine campagne présidentielle. Marine Le Pen est, à la veille de ce scrutin législatif qui pourrait tuer son avenir politique, une dirigeante de parti qui donne l’impression d’être lassée des duels. Bref, humaine.

Ultime vérité d’une femme longtemps écrasée par son père et par la vie publique, mais peut-être convaincue aujourd’hui que le sommet de l’État n’est définitivement pas fait pour elle.

Découvrez nos contenus sponsorisés
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la