Incontournable, bagarreur et solitaire
Emmanuel Macron, le retour de l'hyperprésident

Violemment attaqué par le leader de l'Union de la gauche Jean-Luc Mélenchon, le chef de l'État français est partout. La méthode «Jupiter» redevient la règle. Lui seul, pense-t-il, peut arracher une victoire aux législatives des 12 et 19 juin en descendant dans l'arène.
Publié: 09.06.2022 à 12:34 heures
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Dernière mise à jour: 17.06.2022 à 16:53 heures
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

Vous aviez oublié «Jupiter» ? Vous pensiez qu’Emmanuel Macron, ce président français de 44 ans réélu le 24 avril changerait de méthode à la tête de la France? Vous avez cru, un moment, à la capacité de la nouvelle première Ministre Élisabeth Borne de diriger à la fois le gouvernement et la campagne pour les législatives des 12 et 19 juin, alors qu’elle doit d’abord se faire élire dans sa circonscription normande du Calvados (Normandie)?

«Jupiter» est revenu

Fermez d’urgence cette parenthèse. La vérité de 2022 est que «Jupiter» est revenu. Le jeune chef de l’État, surnommé ainsi au début de son premier mandat en 2017 parce qu’il concentrait tous les pouvoirs et fonctionnait de façon très verticale – jusqu’à ce que la crise des «gilets jaunes» l’oblige à débattre – a repris son costume de Commandant en chef électoral dans la bataille pour les 577 députés. Et ce, pour une raison simple: Emmanuel Macron ne croit qu’en lui, à la fois pour diriger le pays et pour arracher dans les urnes une majorité de députés pour la coalition présidentielle «Ensemble».

Une France de plus en plus polarisée

«Jupiter» est revenu. Et il n’a pas forcément tort. Dans une France de plus en plus polarisée en trois blocs, les centristes autour de Macron, la droite dure protestataire autour de Marine Le Pen, la gauche radicalisée derrière Jean-Luc Mélenchon, les partis et les nuances politiques ont volé en éclat lors de la récente élection présidentielle. Place à l’affrontement des personnes, nourri par le système français où tout remonte au chef de l’État, à la fois «patron» du pays et de facto chef de la majorité parlementaire, même si ce rôle devrait échoir au premier ministre, auquel l’Assemblée nationale vote, ou non, la confiance lorsqu’il engage sa responsabilité devant les députés.

Emmanuel Macron raisonne donc avec logique. Puisque sa photo est sur toutes les affiches des candidats «d’Ensemble». «Ensemble», soit la coalition constituée de son ancien parti «La République en marche» (rebaptisé «Renaissance»), de «Territoires de progrès» composé d’anciens du PS, du Mouvement démocrate (Modem) de François Bayrou et de «Horizons», et de la dissidence de droite conduite par l’ancien premier ministre Edouard Philippe. Chacune de ces factions se réclame de lui. Le président en tire les conséquences et monte au front:

  • Un entretien dans la presse régionale ce week-end
  • Une visite dans un dojo de judo à Clichy-sous-Bois en banlieue parisienne mercredi
  • Un déplacement dans le département rural du Tarn ce jeudi 9 juin

Oubliée, la cheffe du gouvernement Élisabeth Borne, ex haut fonctionnaire socialiste, ancienne ministre des transports surtout créditée pour sa capacité de travail et son sens de la discipline. Sa première mission, à elle, est de se faire accepter par les électeurs normands dans la 6e circonscription du Calvados. Car si elle perd, tout s’écroule. Impossible, ou presque, de la laisser à l’Hôtel Matignon, le siège parisien du premier ministre.

Macron demeure son meilleur atout électoral

Vu de l’étranger, cette course folle électorale du président tout juste réélu peut sembler très risquée, d'autant que la Nouvelle Union Populaire Ecologique et sociale (NUPES) est légèrement en tête des intentions de vote avec 28% contre 27% pour le camp gouvernemental. De fait, le sprint macronien est audacieux. Comment garantir à tous les citoyens français qu’ils seront entendus au Palais de l’Elysée par ce chef de l’État qui monte à l’assaut des urnes et diabolise à chaque intervention ses adversaires Mélenchon et Le Pen pour dire qu’ils vont saper le projet européen s’ils sont élus, compte tenu leurs sympathies passées pour Vladimir Poutine? Comment faire croire aux Français que la proposition présidentielle d’un futur «Conseil national de la refondation», avec en son sein des citoyens tirés au sort, ne sera pas un artifice pour masquer les oukases tombés d’en haut?

Toutes ces inquiétudes sont justifiées. Sauf qu’elles butent sur deux obstacles dont Emmanuel Macron a tiré les conséquences. Le premier est que son meilleur atout électoral, pour les législatives, demeure sa nette réélection présidentielle, qui lui permet de demander une majorité pour gouverner. La seconde est qu’il est, de loin, le plus habile et le plus performant dans son camp: maître en prestations médiatiques, charmeur, capable de surprendre, expert en réseaux sociaux. Il présente aussi la garantie du «sortant». Il parle à Poutine (ce qui lui est beaucoup reproché). Il assume jusqu’à la fin juin la présidence tournante de l’Union européenne. Bref: Macron demeure le meilleur de son camp. Il a en main les meilleures cartes. Il le sait, au risque d’en abuser.

Participation très faible annoncée ce dimanche

Et dans les urnes? Là aussi, le calcul «jupitérien» est simple. Tous les instituts de sondage s’accordent pour dire que la participation sera sans doute très faible ce dimanche 12 juin, en dessous des 50%. Tous pensent que les jeunes – cible prioritaire de la gauche mélenchoniste et écologiste – seront les premiers à bouder les urnes.

D’où un poids électoral encore plus fort des retraités français, une catégorie d’âge qui vote… Macron à plus de 70%. Idem coté portefeuille: alors que la baisse du pouvoir d’achat taraude les Français, l’éventuelle abstention massive des ménages modestes peut faire basculer le résultat, vu que les cadres (à près de 75%) et les professions intermédiaires (autour de 60%) ont mis dans l’urne, en avril, un bulletin Macron.

L’hyperprésidentialisme, maladie française incurable

La vérité de ces législatives françaises est qu’elles ne ressemblent plus guère aux précédentes. Le scrutin majoritaire de la Ve République – on élit un député par circonscription – a longtemps favorisé l’ancrage local, jusqu’à ce que le non-cumul des fonctions de parlementaire et de maire entre en vigueur en 2017. Il est désormais surtout à l’avantage des sortants (289 députés pro-Macron sur 577 dans la précédente Assemblée nationale) et transforme les candidats en porte-drapeau de leurs leaders. Macron monte sur le ring parce qu’il sait que la bataille législative est nationale, et qu’il en est le sujet principal, défié par Jean-Luc Mélenchon qui fait campagne pour être premier ministre de cohabitation. La France est encore loin d’être débarrassée de son incurable «hyperprésidentialisme».

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