L’histoire est tragiquement en train de se répéter sous nos yeux. Cette histoire, c’est d’abord celle que montrent les images de la tuerie qui a coûté la vie à 133 personnes, vendredi soir 22 mars, lors d’un concert organisé au centre culturel Crocus, une salle de spectacle de la banlieue de Moscou. Un massacre. Comme le 11 septembre 2001 à New York, aux États-Unis. Comme le 13 novembre 2015 au Bataclan, à Paris. Mais aussi. Comme le 23 octobre 2002 à Moscou, lorsqu’une prise d’otages conduite dans un théâtre par un commando tchétchène se solda, après trois jours de face-à-face, par l’utilisation de gaz incapacitant par la police et la mort de 123 personnes.
Que va-t-il se passer maintenant? A coup sûr, Vladimir Poutine va chercher à venger la Russie, officiellement attaquée par l’État Islamique de Khorasan, une branche de la nébuleuse terroriste islamique basée entre le Pakistan, l’Afghanistan et l’Asie centrale. C’est cette organisation, responsable d’attentats en Iran, et de menaces répétées contre la Russie en raison de soutien de celle-ci au régime syrien de Bachar al-Assad, qui a revendiqué l’attentat sur la messagerie Telegram.
L’Ukraine, refuge pour les tueurs?
Mais l’enquête, déjà, est presque mise de côté après l’arrestation, selon le Kremlin, des quatre auteurs de la tuerie dont l’un a affirmé avoir commis ces meurtres de masse pour moins de cinq mille francs. Dès son intervention télévisée nationale, samedi 23 mars au matin, Poutine a accusé l’Ukraine. C’est vers ce pays contre lequel il a lancé son armée le 24 février 2022 que se dirigeait, selon lui, le commando de tueurs. Aussitôt, Kiev a démenti ces allégations, les qualifiant d’absurdes. Les États-Unis ont aussi confirmé avoir prévenu Moscou d’attaques terroristes imminentes. On ne peut bien sûr rien exclure à ce stade, y compris des complicités ukrainiennes. Mais le président russe tient de toute façon son coupable.
Cette méthode est connue. S’appuyer sur l’horreur d’un attentat pour déclencher le feu le plus nourri possible sur son ennemi, même si sa responsabilité n’est pas prouvée. C’est ce qu’a fait, ne l’oublions pas, le président américain George W.Bush en décidant l’invasion de l’Irak de Saddam Hussein après l’intervention militaire en Afghanistan pour en chasser Al-Qaïda. Les États-Unis des années 2001-2003 ne respectaient plus rien, sinon leur soif de vengeance, alors que les auteurs des attentats de New York étaient pour la plupart, rappelons-le, de nationalité saoudienne et émiratie.
C’est ce qu’a fait aussi Poutine lui-même, utilisant les attentats attribués aux Tchétchènes de 1999 à 2004, dont la prise d’otages du théâtre de Moscou, pour justifier les horreurs de la seconde guerre du Caucase. La responsabilité du FSB, le service de renseignement russe, dans certains de ses attentats a même été évoquée. L’ex-KGB aurait fabriqué des terroristes pour permettre à Poutine et aux siens de verrouiller leur pouvoir dans le sang. Ce qu’ils ont fait sans pitié. On pense aussi, inévitablement, aux conséquences de l’assaut terroriste du Hamas sur le sud d’Israël le 7 octobre. Gaza réduite en cendres. La vengeance, justifiée par le droit de se défendre.
Les images du centre Crocus attaqué
Le scénario du pire
Et l’Ukraine? Au-delà des premières accusations lancées par Poutine, le scénario du pire se dessine déjà. La Russie ensanglantée, humiliée, attaquée, va réclamer des actes. Il y avait 6 200 personnes dans la salle de spectacle du centre Crocus, incendiée par les terroristes. Le carnage aurait pu être bien pire encore. Instrumentaliser ce crime à des fins militaires, pour justifier une offensive sans merci sur le front ukrainien ou une pluie de missiles sur des villes comme Kharkiv, Kiev ou Odessa, sera donc très facile. Qui peut garantir que les suspects interpellés sont bien les auteurs de la tuerie? Qui peut garantir que, s’ils incriminent l’Ukraine, leurs aveux n’auront pas été extorqués par la violence? Personne. Poutine a maintenant face à lui un besoin de vengeance qu’il est libre d’assouvir comme il veut, et que les Russes jugeront normal. Pile au moment où de nouvelles unités militaires sont acheminées vers l’Ukraine…
Chaque guerre connaît des tournants, des moments où tout peut basculer. Pour l’Ukraine, ces semaines prochaines risquent fort d’être un tel moment. La Russie de Poutine va tout faire pour mettre ce pays à genoux, d’autant qu’il est aujourd’hui rendu vulnérable par le manque de munitions et d’armement. Les images de la tragédie du centre Crocus vont tourner sur les portables de soldats russes. Le régime de Poutine va les exploiter, en faire un argument de propagande et une arme de destruction massive.
Une justification imparable
Ces images seront aussi, pour la Russie, un moyen de contrer l’opposition de l’Occident au nom du droit international. Peut-on refuser à un pays ainsi attaqué le droit de riposter? L’État Islamique de Khorasan a ouvert les vannes d’une terreur qui promet de le dépasser de loin, ce qui n’exclut pas aussi des représailles russes sur ses sanctuaires.
Les Ukrainiens savent déjà qu’ils vont payer très cher le prix de ce massacre dans lequel rien ne prouve, jusque-là, l’implication de leur pays. Poutine tient ce qui lui manquait: une justification imparable pour tous ces crimes futurs.