Et maintenant, le Portugal? A trois mois des élections européennes qui auront lieu du 6 au 9 juin, les législatives portugaises de ce dimanche 10 mars sont un baromètre que toutes les capitales des 27 pays de l’UE vont suivre de près.
Dans ce pays qui vécut sous la dictature de 1932 à 1974, et alors que le 50e anniversaire de la Révolution des œillets sera célébré à la fin avril, le parti d’extrême-droite Chega est crédité de 16% des voix dans les sondages. La vague des partis nationaux-populistes qui déferle sur le continent est-elle arrêtable? Ce sera aussi le thème central du premier meeting de la coalition présidentielle française «Renaissance» («Renew» au niveau européen) à Lille ce samedi, face à l'avance du Rassemblement national dans les sondages. Tour d'horizon
Qu’est-ce que Chega au Portugal?
Fondé en avril 2019 par un ancien député social-démocrate, André Ventura (38 ans), cette formation nationale-populiste, dont le nom signifie «Ça suffit» ou «Assez», est désormais la principale force d’opposition. Son fonds de commerce est la dénonciation de la corruption, thème qui fait mouche face au PS au pouvoir, englué dans des affaires de trafic d’influence qui ont conduit le premier ministre sortant Antonio Costa à démissionner en novembre 2023. L’autre thème porteur de ce parti est la lutte contre l’immigration, thème commun à toutes les forces de droite radicale dans les pays de l’Union européenne. Chega est proche depuis 2020 du groupe «Identité et démocratie» représenté au Parlement de Strasbourg, dans lequel on retrouve les Allemands de l’AfD, la Lega italienne, le RN français ou le PVV de Gert Wilders, le leader d’extrême-droite vainqueur des élections de novembre 2023 aux Pays-Bas.
Que signifierait un succès de Chega?
Le Portugal est emblématique. Il ne l’est pas en raison du poids de sa population (10,3 millions d’habitants) ou de son poids économique (son produit intérieur brut d’environ 250 milliards d’euros est inférieur de trois fois à celui de la Suisse). Il l’est en raison de son histoire, car il fallut attendre 1974, avec la révolution des œillets, que la démocratie s’installe dans ce pays placé sous la coupe réglée du régime d’Antonio de Oliveira Salazar depuis 1932. L’entrée du Portugal et de l’Espagne dans la Communauté européenne, en 1986, est considérée comme l’un des plus beaux succès politiques de l’intégration communautaire. Si le parti Chega se retrouve au coude à coude avec le PS portugais, dont le premier ministre Antonio Costa a souvent été crédité pour sa gestion avisée après la crise financière de 2008-2012, ce serait un choc.
Chega, AfD, RN: vague nationale-populiste?
L’enjeu est décisif pour les élections européennes qui auront lieu, dans chaque pays membre de l’Union, du 6 au 9 juin. Il s’agit, pour rappel, d’élire les députés européens, à l’issue d’un scrutin à la proportionnelle intégrale, sur des listes nationales. De quoi favoriser les extrêmes, d’autant qu’il n’y aura pas de changement de gouvernement et que la contestation pourra ainsi s’exprimer. Les seuls indicateurs, pour l’heure, sont les sondages et les enquêtes menées par les think-tanks comme l’European Council of Foreign relations (ECFR). Or fin janvier, celui-ci a pronostiqué «une percée spectaculaire des partis de droite nationaliste». Il s’agit de Chega au Portugal, de Vox en Espagne, de Fratelli d’Italia et de la Lega en Italie (actuellement au pouvoir), du Rassemblement national en France, du PIS Polonais (récemment battu aux législatives) du Parti de la liberté aux Pays-Bas (vainqueur des dernières législatives qui n’ont pas encore abouti à un nouveau gouvernement), de l’Alternative für Deutschland en Allemagne, et bien sûr du Fidesz hongrois (au pouvoir depuis 2010).
Immigration, identité, État social: les thèmes porteurs?
L’obsession de l’immigration et du «Grand remplacement» comme on dit en France, est au cœur de cette vague de droite nationale-populiste dont la Suisse peut se targuer, avec l’UDC, d’avoir été l’avant-garde. La question de l’identité est des racines chrétiennes de l’Europe font logiquement partie des thèmes les plus porteurs, ainsi que la thématique de l’ordre public et de la sécurité. On retrouve là les sujets portés, aux États-Unis, par un certain Donald Trump. Une ligne de fracture existe en revanche entre ces partis sur le plan économique. Certaines de ses formations sont libérales, hostiles à un État omniprésent, sur le mode de l’UDC suisse. C’est le cas du PVV aux Pays-bas ou des partis d’extrême-droite scandinaves. Fratelli d’Italia, de Giorgia Meloni, a réussi à se rapprocher du patronat italien. D’autres formations, comme le RN en France, défendent une injection massive de fonds publics pour les classes populaires.
Cette droite peut-elle faire basculer l’Union européenne?
Aujourd’hui, ces partis sont représentés au Parlement européen dans deux groupes: ECR (réformistes et conservateurs européens – 62 eurodéputés) où se trouvent les élus de Fratelli d’Italia et du PIS Polonais, et ID (Identité et démocratie – 73 élus) où se trouve le RN français. Jusque-là, cette division a toujours prévalu, alimentée par des querelles de chefs. Mais que se passera-t-il si ces formations nationales-populistes sont, avec plus d’une centaine d’eurodéputés, capables de rivaliser avec les principaux partis du parlement, le PPE conservateur (182 sièges), les sociaux-démocrates du groupe S&D (154) et les libéraux de «Renew» (108)? Constitueront-ils une minorité de blocage pour gripper la machine communautaire? Personne n’en doute: la marée de droite radicale – qui se nourrit des erreurs de l’UE et de son impopularité – est en train de changer le visage de l’Union.