«L’Europe a été coupée en deux par la lâcheté, par une volonté d’une partie de l’Europe de ne pas voir les difficultés de l’autre en abandonnant le destin de celle-ci au totalitarisme […] Soyons aujourd’hui à la hauteur de l’histoire et refusons d’être lâches.»
Lorsqu’il prononce ces paroles lundi 4 mars à Prague, devant la communauté française établie en République tchèque, Emmanuel Macron a dans son viseur un homme. Son alter ego. Son principal partenaire. Celui avec lequel il est supposé former «un couple européen».
Cette cible? Le chancelier allemand Olaf Scholz, 65 ans, qu’il désespère aujourd’hui de faire plier sur les Taurus, les fameux missiles allemands à longue portée que Berlin refuse toujours de livrer à l’Ukraine.
Macron-Scholz: ces deux animaux politiques-là sont faits pour ne pas se supporter. Le premier est l’archétype du dirigeant français impatient, qui fourmille d’idées et mise beaucoup sur son charisme pour faire aboutir ses solutions. Le second est un dirigeant à sang-froid, pur produit du nord de l’Allemagne (il fut maire de Hambourg de 2011 à 2018), sorti tout droit des décennies de guerre froide durant lesquelles son parti social-démocrate SPD se rapprocha parfois dangereusement de l’ex-RDA.
Deux tempéraments
Plus grave: la guerre en Ukraine a révélé deux tempéraments. Macron, en bonapartiste accompli, mise sur l’offensive et se soucie peu des changements de cap. Après avoir tenté en vain, jusqu’au début du conflit, d’apaiser Vladimir Poutine, le président français s’est réinventé ces temps-ci en commandant en chef d’une Europe prête à combattre s’il le faut aux côtés de Kiev.
A la tête d’une coalition compliquée entre sociaux-démocrates, verts et libéraux, Olaf Scholz est pour sa part taillé dans le bois dur du pacifisme et de la relation privilégiée entre Berlin et Washington. Il s’est encore récemment fait applaudir en annonçant que «jamais», des soldats allemands ne fouleront le sol ukrainien. Le Chancelier voit dans le locataire de l’Élysée un quasi-pyromane. «Scholz est un hyperprudent. Il n’avance jamais sur un terrain qu’il sent miné», juge un ministre français qui l’a souvent côtoyé.
Ambiguïté stratégique
A Prague, Emmanuel Macron n’a pas flirté avec l’ambiguïté stratégique, en évoquant, comme il l’avait fait à Paris le 26 février, le possible envoi de troupes européens en Ukraine si la dynamique du conflit l’exige. Au contraire. Le président français a fait un pas en arrière, expliquant ses propos et répétant qu’il n’y a pas de consensus européen sur le sujet.
Restent les faits. Depuis une semaine, tout tangue entre Paris et Berlin. La confiance, obligatoire dans ce couple, n’est pas au rendez-vous. Il faut savoir qu’Olaf Scholz fait de surcroît face à une rivalité inattendue en Allemagne. Son ministre de la Défense Boris Pistorius, lui aussi issu des rangs du SPD, le devance dans les sondages.
Motif: Scholz apparaît trop timoré, incapable d’admettre que le danger représenté par Vladimir Poutine exige d’abandonner les postures antérieures. «Olaf Scholz, ce chancelier que Macron ne comprend pas», titrait le quotidien «Libération» le 2 mars.
Ursula von der Leyen, nommée arbitre
Le duel Macron-Scholz a une arbitre: l’Allemande Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne depuis 2019 et candidate à un second mandat à l’issue des élections européennes du 9 juin. Ancienne ministre de la Défense chrétienne-démocrate, cette politicienne de droite, elle aussi du nord de l’Allemagne (Hanovre) a depuis le début du conflit plaidé pour une aide massive à l’Ukraine.
Elle est donc, sur ce plan, une alliée de Macron. Sauf que le renouvellement de son mandat est dans les mains de l’actuel chancelier. Même s’il la soutient aujourd’hui malgré leurs divergences politiques, celui-ci peut se retrancher derrière Bruxelles et la stratégie européenne de défense présentée ce mardi 5 mars.
100 milliards d’euros
Pourquoi l’Allemagne devrait-elle être accusée alors qu’elle a débloqué 100 milliards d’euros pour sa défense en 2022? Peut-on résumer la sécurité de l’Europe à la capacité de l’Ukraine à endommager les infrastructures russes critiques grâce aux missiles Taurus, considérés comme les plus fiables pour rendre impraticable le pont de Kertch, en Crimée?
«Scholz a une carte en main. Lorsque les épreuves surviennent, et la guerre en Ukraine en est une énorme, les Allemands jouent ensemble. Macron, plus isolé tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de ses frontières, fait là face à une sorte de nouveau mur de Berlin, nullement comparable certes avec celui qui s'est effondré en 1989, mais assez sérieux tout de même pour engager un rapport de force avec la Chancellerie», résume le professeur suisse Gilbert Casasus, fin connaisseur de la République fédérale.
Envoi de troupes, le faux-pas de Macron?
Olaf Scholz, un danger pour l’Europe?
Scholz, danger pour l’Europe? C’est en tout cas ce que pensent beaucoup d’élus et d’experts français, convaincus que le chancelier, obsédé par les questions économiques, rêve encore d’une Russie qui accepterait un futur accord de paix et reprendrait ses livraisons de gaz et de pétrole. L'Hambourgeois est aussi perçu comme un maillon faible face à la progression du parti d’extrême-droite allemand AFD, surtout dans les länder de l’Est.
«Macron mène contre l’extrême-droite la bataille que Scholz refuse de mener, poursuit Gilbert Casasus. En France, il diabolise le Rassemblement national et le présente comme l’armée de Poutine. Scholz n’ose pas confronter ainsi les nationaux-populistes de l’AFD.» Paris-Berlin à l’heure du divorce? «Non, car la relation franco-allemande a toujours été ponctuée de crises, conclut Gilbert Casasus. Là, c’est l’antipathie entre les deux hommes qui pose problème.»
Prochain rendez-vous: le sommet européen de Bruxelles, les 21 et 22 mars. Un nouveau test de la volonté d'Olaf Scholz que vient aussi d'étriller l'ancien secrétaire général de l'OTAN Anders Fogh Rasmussen: «Nous avons besoin d'un gouvernement allemand beaucoup plus déterminé, vient-il d'asséner dans la «NZZ». Le chancelier Scholz est beaucoup trop lent, beaucoup trop hésitant. Il ne donne pas l'impression d'être un leader.»