Elle est arrivée à Chicago en bus de nuit depuis St. Paul, Minnesota. Depuis le lever du soleil, Diane Schrack, 68 ans, se tient au bord de la route, près d'Union Park – et tient une pancarte. «Les démocrates sont le parti du génocide.» Derrière elle, des milliers de personnes se rassemblent, beaucoup portent des foulards et des drapeaux palestiniens, certains sont cagoulés.
Diane Schrack montre son visage. «Je suis ici pour manifester contre le président qui envoie des armes à Israël et qui est donc responsable du génocide à Gaza.» Selon elle, le Parti démocrate est un parti «qui prétend défendre les droits de l'homme, mais qui n'arrête pas de vendre des bombes dans les zones de guerre».
Un soutien à Trump?
Et que dit-elle de la déclaration de Kamala Harris selon laquelle des manifestantes comme elle aideraient Donald Trump à remporter l'élection présidentielle en novembre? «Dites à Mme Harris que Trump n'envoie pas d'armes actuellement. Les démocrates sont le parti de la guerre», répond-elle.
Ce que clame Diane Schrack, de nombreuses personnes le pensent à Chicago. Elles descendent quotidiennement dans la rue pendant la convention du Parti démocrate qui se tient cette semaine. Pour Kamala Harris, c'est un cauchemar.
La candidate démocrate à la présidence est prise entre deux feux. L'aile gauche de son parti et la communauté arabo-musulmane s'opposent à la politique israélienne du président américain Joe Biden. Cela pourrait lui coûter des voix, surtout dans le swing state du Michigan, où vivent environ 300'000 Arabes américains.
Kamala Harris tente de prendre ses distances par rapport au président encore en exercice, sans pour autant fâcher les électeurs juifs et pro-israéliens. Ceux-ci demandent à la candidate de s'engager clairement en faveur de l'alliance entre les États-Unis et Israël qui dure depuis des décennies.
Les jeunes s'opposent aux livraisons d'armes à Israël
La Démocrate doit craindre en particulier pour les voix des jeunes. Selon un sondage de l'Université de Chicago publié ce lundi, 36% des Américains de moins de 40 ans s'opposent à toute aide militaire à Israël alors que 33% y sont favorables.
Le conflit a atteint l'United Center, le centre sportif où les démocrates tiennent leur convention. Certains délégués portent des badges appelant à un cessez-le-feu immédiat à Gaza. D'autres tiennent une veillée quotidienne en mémoire des Israéliens et des Palestiniens tués depuis le 7 octobre. Pendant ce temps, les groupes pro-israéliens soulignent que Kamala Harris ne doit pas se laisser intimider par «les gauchistes».
Cela semble difficile au vu des défilés quotidiens à Chicago. Le routier Dave Marlow porte une chemise ouverte, il tient à la main un drapeau palestinien. Il est venu d'Atlanta, en Géorgie, un swing state décisif pour les élections. «Il est important que les gens protestent à portée de vue et d'ouïe de la convention du parti», affirme l'homme de 34 ans.
Selon lui, les Démocrates sont à nouveau confiants, à juste titre, dans leur capacité à stopper Donald Trump. «Mais nous n'y parviendrons que si Kamala Harris change et ne poursuit pas la politique de Biden», prévient-il.
Harris «l'opportuniste»
Dave Marlow s'oppose à la thèse selon laquelle l'aile gauche des Démocrates donnera la victoire à Trump. «C'est Kamala Harris qui aide Trump à gagner parce qu'elle ne change pas sa politique vis-à-vis d'Israël. Une majorité d'Américains la rejette.»
D'autant plus qu'une politique différente vis-à-vis d'Israël amènerait de nombreux jeunes aux urnes et par la même occasion des voix à Kamala Harris, souligne Dave Marlow. «Mais plus longtemps elle refusera de faire ce qui est juste, plus une deuxième présidence Trump se rapprochera», lance-t-il. Certes, il ne l'espère pas. Mais «pour l'instant, je ne peux donner ma voix à aucun des deux».
La gauche n'est pas la seule à s'opposer à la politique israélienne de Kamala Harris. L'enseignante Montana Hersh est venue de Minneapolis à Chicago pour réclamer une politique d'immigration libérale. Selon elle, le président Biden a continué à construire le mur de Trump à la frontière mexicaine et il s'attaque aux immigrés avec autant de détermination que les Républicains. «Biden et Harris ont fortement restreint le droit d'asile, nous demandons une légalisation pour tous», tonne la femme de 30 ans.
Elle s'estime aussi déçue de la position de Kamala Harris. Depuis qu'elle est candidate démocrate, elle «réclame dans des spots publicitaires des mesures sévères contre les immigrés illégaux», afin d'éviter les critiques de Trump. «C'est de l'opportunisme que nous n'acceptons pas», explique l'enseignante.
Des voix pour la verte Jill Stein?
Coleen Rowley se tient quant à elle au milieu de l'avenue Ashland. «Hup pour une trêve», peut-on lire sur sa pancarte. Quand quelqu'un klaxonne, elle rayonne. Une semaine après l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, cette juriste de 69 ans a commencé à manifester contre la politique américaine à l'égard d'Israël. «Kamala Harris n'est pas différente de Biden», affirme-t-elle.
Elle indique s'opposer à toute forme de guerre en général. «Malheureusement, les deux partis sont devenus des belligérants et ils ne se distinguent pas dans leur politique étrangère.» Pendant des décennies, elle a voté pour les Démocrates, mais depuis la guerre de l'ancien président Barack Obama menée à coups de drones, elle ne peut plus s'y résoudre.
Pour qui va-t-elle voter désormais? Elle donne un nom que beaucoup de manifestants lancent: Jill Stein, la candidate verte, âgée de 74 ans. Autant de voix que Kamala Harris n'obtiendra pas.