Ils en ont sûrement parlé dans les salons du palais de Blenheim au Royaume-Uni, là où est né Winston Churchill. Les Chefs d’État ou de gouvernement des 46 pays membres de la Communauté politique européenne, réunis jeudi autour du premier ministre britannique Keir Starmer, savent que tout changera si Donald Trump revient à la Maison-Blanche le 5 novembre, après sa confirmation comme candidat républicain par la convention de Milwaukee (Wisconsin).
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Ils doivent donc s’y préparer, au moment où de plus en plus de rumeurs venues de Washington évoquent un possible retrait de Joe Biden ce week-end. Avec, comme principal sujet géopolitique, la question de l’Ukraine et d’une possible nouvelle conférence de paix. Or un homme a un plan: le premier ministre hongrois Viktor Orbán.
Zelensky et ses alliés
La Communauté politique européenne (CPE) a été lancée en 2022 lorsque la France assumait la présidence semestrielle tournante de l’Union européenne. Il s’agit d’un forum ouvert, sans secrétariat, qui permet aux dirigeants de presque tous les pays du continent (Turquie incluse, mais sans la Russie) de se retrouver deux fois par an. La Suisse en est membre, et Viola Amherd assistait jeudi au sommet du palais de Blenheim, près de Londres.
L’un des dossiers évoqués durant cette rencontre d’une journée a été celui des ingérences étrangères, et de la volonté russe de déstabiliser certains pays voisins de l’Ukraine, comme la Moldavie. Le président Ukrainien Volodymyr Zelensky était présent. Il n’est toutefois pas reparti de cette escale britannique avec de nouvelles promesses d’aide financière, comme cela avait le cas avec les 40 milliards de dollars promis par les pays de l’OTAN à la mi-juillet à Washington.
La Suisse dans l’erreur
Et pour cause: même s’il n’était pas à l’agenda, un sujet émerge, poussé par l’actualité politique américaine et par le sentiment que Donald Trump sera de nouveau président des États-Unis cet automne: comment avancer vers des négociations de paix dignes de ce nom avec Moscou? Comment éviter de refaire l’erreur du sommet suisse du Bürgenstock qui, les 15 et 16 juin, s’est transformé en sommet occidental contre la Russie et son allié, la Chine?
Or Viktor Orban a choisi d’avancer ses pions. Le 12 juillet, sur son site internet, le premier ministre Hongrois a publié ses recommandations après ses visites controversées à Moscou et en Chine au début du mois, sans mandat de l’Union européenne alors que son pays assume à son tour sa présidence tournante jusqu’à la fin décembre. C’est sous la forme d’un rapport adressé au président du Conseil européen (l’instance qui regroupe les Chefs d’État ou de gouvernement des 27 pays membres de l’UE) Charles Michel que Orban s’est avancé. Il l’a fait, démarche révélatrice, après avoir rencontré Donald Trump dans sa résidence de Floride, à l’issue du sommet de l’OTAN.
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Le «rapport Orban»
- La guerre en Ukraine va continuer de faire saigner l’Europe. «Il est généralement admis que l’intensité du conflit militaire va radicalement s’intensifier dans un avenir proche. Les parties belligérantes sont déterminées à s’engager plus avant dans le conflit, et qu’aucune d’entre elles ne souhaite prendre des initiatives en faveur d’un cessez-le-feu ou de négociations de paix. Nous pouvons donc supposer que les tensions ne diminueront pas et que les parties ne commenceront pas à chercher un moyen de sortir du conflit sans une implication extérieure significative».
- Seuls quelques acteurs peuvent influer sur Kiev et Moscou, et le médiateur ne sera pas la Suisse. «Trois acteurs mondiaux sont en mesure d’influencer l’évolution de la situation: l’Union européenne, les États-Unis et la Chine. Nous devons également prendre en compte la Turquie en tant qu’acteur régional important, seul médiateur réussi entre l’Ukraine et la Russie depuis le début des hostilités en 2022 […] La Chine ne jouera un rôle plus actif que si les chances de succès de son engagement sont proches de la certitude. Selon eux, ce n’est pas le cas actuellement». Un coup de pied au Bürgenstok, boycotté par Pékin.
- Trump s’occupera de l’Ukraine sitôt élu. «Joe Biden déploie d’immenses efforts pour rester dans la course. Il est évident qu’il n’est pas en mesure de modifier la politique américaine actuelle en faveur de la guerre et qu’on ne peut donc pas s’attendre à ce qu’il lance une nouvelle politique. […] Je peux en revanche affirmer avec certitude que peu après sa victoire électorale, Donald Trump n’attendra pas son investiture, mais sera prêt à agir immédiatement en tant qu’intermédiaire de paix. Il a des plans détaillés et bien fondés à cet effet» Avec une conséquence prévient Orban: «Je suis plus que convaincu que dans le résultat probable de la victoire du président Trump, la proportion de la charge financière entre les États-Unis et l’UE changera de manière significative au désavantage de l’UE en ce qui concerne le soutien financier de l’Ukraine»
Prendre des initiatives
C’est à la fin de son rapport que Viktor Orbán s’adresse directement aux dirigeants européens avec lesquels il a échangé au palais de Blenheim, sous les portraits de Winston Churchill. «Notre stratégie européenne, au nom de l’unité transatlantique, a copié la politique de guerre des États-Unis. Jusqu’à présent, nous n’avons pas eu de stratégie européenne souveraine et indépendante ni de plan d’action politique. Je propose de débattre de la question de savoir si la poursuite de cette politique est rationnelle à l’avenir.
Dans la situation actuelle, nous pourrions nous efforcer de réduire les tensions et/ou de créer les conditions d’un cessez-le-feu temporaire et/ou d’entamer des négociations de paix» Et d’énumérer trois priorités: 1) des discussions politiques de haut niveau avec la Chine sur les modalités de la prochaine conférence de paix 2) la réouverture des lignes directes de communication diplomatique avec la Russie et la réhabilitation de ces contacts directs dans notre communication politique 3) le lancement d’une offensive politique coordonnée vers les pays du «Sud global».
Orban et la paix
Orban, faiseur de paix? Pour le moment, la réponse de Bruxelles est plutôt cinglante. La Commission européenne, dont la présidente Ursula von der Leyen vient d’être réélue jeudi à Strasbourg, a mis en place un boycott de la Hongrie par les commissaires. Viktor Orbán est accusé de faire cavalier seul.
Mais s’il bénéficiait, en sous-main, de l’accord tacite de certains de ses collègues?