Il entre en fonction à Strasbourg
A quoi sert ce Parlement européen plein d'europhobes?

Le Parlement européen issu des élections du 9 juin entre en fonction à Strasbourg ce 16 juillet. Il vient de réélire sa présidente, Roberta Metsola. Est-il encore le pilier démocratique de l'Union européenne, alors que les partis europhobes veulent le bloquer?
Publié: 16.07.2024 à 12:05 heures
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Dernière mise à jour: 16.07.2024 à 16:23 heures
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Roberta Metsola, élue conservatrice de Malte, est la présidente sortante du Parlement européen.
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

Il est en théorie le pilier démocratique de l’Union européenne (UE). Le parlement européen, qui a ouvert ce mardi sa nouvelle législature à son siège de Strasbourg (France), est composé de 720 eurodéputés élus dans les 27 pays de l’UE au suffrage universel.

Il a pour mission, comme tout Parlement, de débattre les lois (directives et règlements) communautaires, et de contrôler l’exécutif, à savoir la Commission européenne. Mais attention: contrairement aux pouvoirs législatifs nationaux, le Parlement européen ne propose pas de lois. Celles-ci sont seulement mises sur la table par la Commission, supposée défendre l’intérêt général des 450 millions de citoyens des 27 pays membres.

En théorie, mais en réalité? Le spectacle que va donner le nouveau Parlement européen, à partir de ce mardi, ne sera sans doute pas celui de ses prédécesseurs. La preuve? Le troisième groupe politique de cette assemblée est désormais composé de 84 députés opposés au projet communautaire, ou du moins résolument hostiles à l’extension des compétences de la Commission. Il s’agit des «Patriotes d’Europe», crée par le premier ministre hongrois Viktor Orbán. Lequel, ironie du calendrier, occupe jusqu’à la fin décembre la présidence semestrielle tournante de l’Union.

Bloquer le processus de décision

Deux autres groupes, les Conservateurs et réformistes européens (ECR, composé des Polonais de Droit et Justice et des Italiens de Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni), et le groupe de «L’Europe des nations souveraines» (avec l’AfD allemande) additionneront leurs voix, quand il le faudra, pour bloquer le processus de décision communautaire ou l’infléchir en faveur d’une «renationalisation».

Ce Parlement européen peut-il donc changer la donne? Et que peut-il signifier pour la Suisse qui aura besoin d’un vote favorable d’une majorité de députés pour avaliser le futur accord bilatéral en cours de négociation avec la Commission européenne? Prenons trois sujets, et regardons ce qui peut se passer à Strasbourg (où se déroulent les sessions plénières du Parlement) et à Bruxelles (où a lieu le travail décisif en Commissions parlementaires).

Premier sujet: la démocratie muselée

Il est très important à l’heure des confrontations avec la Russie, la Chine et les dirigeants autoritaires de nombreux pays, mais aussi en vue du possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. On critique le Parlement européen pour ses déclarations et ses communiqués, souvent sans conséquences directes, mais il est un acteur de la vie internationale et démocratique.

Ce n’est pas un hasard si, ce mardi 16 juillet, la Fédération internationale des droits de l’homme a lancé un avertissement en invitant «tous les nouveaux membres du Parlement européen à défendre fermement les principes de respect de la démocratie, de l’État de droit et des droits humains, ainsi que les valeurs de dignité humaine, de tolérance, d’égalité, de solidarité et de respect des minorités. Des valeurs inscrites dans l’article 2 du traité de l’UE». Et d’ajouter: «Les députés européens doivent garantir leur protection et leur efficacité et les défendre lorsqu’elles sont attaquées.» Or sur ce sujet, les forces nationalistes sont debout sur les freins. Elles ne veulent plus d’une Europe «donneuse de leçons». Elles sont toujours pour le renvoi forcé des immigrés clandestins.

Deuxième sujet: la Commission encerclée

Ce Parlement européen conserve une majorité proeuropéenne, favorable à la poursuite d’initiatives communautaires fortes. Elle est constituée, a priori, des deux forces politiques principales du Parlement: les Conservateurs et les Sociaux-démocrates, qui peuvent compter en appoint sur les Écologistes et les Libéraux. Au total, ces forces comptent 454 eurodéputés sur 720, donc une large majorité. Mais attention: en leur sein, leur alliance ne va plus de soi. La présidente sortante de la Commission Ursula von der Leyen, candidate des conservateurs à un second mandat, a irrité beaucoup de parlementaires en battant la campagne avec la CDU allemande, parti des lobbys industriels. Elle est aussi très contestée pour sa gestion des contrats de vaccins durant la crise du Covid. Les «europhobes» ne vont pas se priver d’attaquer.

Qu’adviendra-t-il ce jeudi 18 juillet, jour de son investiture par le Parlement? Elle doit être investie par une majorité d’élus. Ce que l’excellente lettre «La Matinale européenne» résume ainsi: «La discipline de vote sera déterminante. Le scrutin est à bulletins secrets et il permet à chaque élu d’exprimer sa confiance, ses doutes, son refus. Ursula von der Leyen n’est plus une inconnue. Elle a dirigé la Commission européenne pendant cinq ans. Ses qualités et ses travers sont connus. Elle a un sérieux problème d’ego. Elle a personnalisé sa fonction et se considère comme la présidente de l’Europe. Son premier mandat a été un perpétuel rapport de force.» On s’attend aussi à des blocages à l’automne lors des auditions et des votes sur les candidats aux postes de Commissaires.

Troisième sujet: Le fédéralisme détesté


C’est un tournant majeur. Il faut l’écrire même si le mot fâche au sein des proeuropéens qui ne l’assument guère: depuis des décennies, l’intégration communautaire fédérale s’est consolidée, en faisant converger les politiques économiques et sociales, et en accordant toujours plus de poids au droit européen. La création de l’euro, la monnaie unique, a été un pas énorme vers ce fédéralisme de fait dans de nombreux domaines. La question de la lutte contre le réchauffement climatique est un autre sujet qui voit les gouvernements nationaux abandonner leurs prérogatives. L’immigration, qui reste un sujet national, est néanmoins communautarisée via les procédures d’asile en vigueur au sein de l’espace Schengen, dont la Suisse est membre.

Or ce fédéralisme est détesté par les nationalistes qui rêvent de revenir à une Europe commerciale, dont le grand marché serait le principal accomplissement. Le Parlement européen va donc se retrouver écartelé, et même s’ils ne peuvent pas bloquer les textes, les hémicycles de Strasbourg et Bruxelles vont devenir des caisses de résonance pour le refrain favori des souverainistes: «Moins d’Europe».

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