Petite victoire, gros soucis. Une vingtaine de députés d’avance sur le camp présidentiel à l’Assemblée, et une guerre des égos en train de ruiner ce maigre, mais réel succès. La gauche française était en forme dimanche soir 7 juillet, lorsque le Nouveau Front Populaire, la coalition électorale qui réunit socialistes, écologistes, communistes et La France Insoumise (gauche radicale), est sortie en tête des urnes, avec 184 élus.
Une gauche en panne
Or, elle donne l’impression d’être en panne une semaine après le deuxième tour et quelques jours avant l’ouverture de la nouvelle législature ce 18 juillet. La gauche est incapable de s’entendre sur le nom d’un ou d’une candidate au Poste de premier ministre pour remplacer Gabriel Attal. Huguette Bello, l’élue insulaire communiste de la Réunion dont le nom avait été évoqué, s’est d’elle-même retirée de la course ce dimanche.
L’actuel chef du gouvernement a, pour sa part, réussi son nouvel examen de passage. Il était ce dimanche 14 juillet aux côtés d’Emmanuel Macron pour le traditionnel défilé militaire de la fête nationale. Il lui remettra de nouveau sa démission mardi 16, après sans doute un ultime conseil des ministres. En France, c’est le président qui nomme le Premier ministre. Il peut demander sa démission (et il l'obtient le plus souvent), ou ce dernier peut-être censuré à l’Assemblée nationale par une majorité absolue de 289 sièges sur 577. Attal, 35 ans, réélu député des Hauts-de-Seine, est le nouveau président des députés Renaissance, le cœur du camp présidentiel.
Attal, le bon scénario
Il est en ordre de marche pour siéger, soit dans l’opposition (ce qui est peu probable), soit dans le soutien à une coalition gouvernementale dont les contours sont difficiles à cerner pour le moment. Attal a un avantage. Même s’il vient de la gauche, il s'est frayé un chemin avec la droite. Il est l’apôtre et le disciple du «En même temps» macroniste.
La gauche française, en revanche, donne un triste spectacle. Car elle ne parvient pas à s’entendre, et donne l’impression qu’elle n’a rien préparé, au-delà de son union électorale très efficace pour faire barrage au Rassemblement national lors des législatives anticipées. Bien sûr, tous les pays de tradition parlementaire connaissent une longue période d’accouchement des coalitions. Il n’est donc pas trop tard.
Infidélités et trahisons
Mais certains indices démontrent qu’un mauvais «House of Cards» se joue dans les états-majors des partis qui composent cette alliance. La série TV américaine racontait le quotidien des arcanes du pouvoir à Washington. Tout n’était, à l’écran, qu’infidélités, trahisons, coups bas. Le climat qui règne entre écologistes, insoumis et socialistes commence à y ressembler. Le premier secrétaire du PS Olivier Faure travaille d’ailleurs d’arrache-pied pour débaucher des élus LFI. Il veut obtenir le premier groupe de gauche à l’Assemblée. Ce que le chef historique de LFI Jean-Luc Mélenchon, ne digère pas, en gardant les yeux rivés sur la présidentielle 2027. Un autre acteur joue ses cartes: l’ancien président de la République socialiste François Hollande, réélu député de Corrèze.
Emmanuel Macron, successeur de Hollande dont il fut le collaborateur, est un acteur majeur de ce «House of Cards» de la gauche. C’est lui qui, selon la Constitution française, doit nommer le premier ministre. Il doit en théorie, pour cela, tenir compte des résultats des élections. Sauf que Macron ne veut pas d’Insoumis, ces disciples de Mélenchon qu’il accuse d’avoir «bordélisé le parlement» et de surfer sur la vague d’antisémitisme engendrée par la guerre à Gaza, suite à l’assaut du Hamas contre Israël le 7 octobre.
La puissance de LFI
Le scénario de cette saison 2 du «House of Cards» de la gauche souffre par conséquent d’un problème majeur: qui pourra imposer à LFI, très puissante sur le terrain, de renoncer au poste de Premier ministre. La saison 1 – «gagner les élections législatives anticipées» ne posait pas ce problème. Il s’agissait de convaincre les électeurs. C’est maintenant l’exercice du pouvoir qui est en cause. Et le calendrier, car plus Macron a de temps devant lui, plus il a de marge de manœuvre pour essayer de recentrer une coalition en l’ouvrant à la droite.
La question n’est pas que celle du gouvernement. Elle est celle de sa durabilité. Le Nouveau Front populaire n’a pas de majorité à l’Assemblée. Il doit la trouver. Or Mélenchon et LFI sont des repoussoirs. Alors? Le PS, qui renaît grâce aux accords électoraux qui lui ont permis de faire élire 70 députés, rêve de reconstituer la gauche plurielle des années 90-2000 avec Jospin Premier ministre. Les écologistes se voient déjà profiter de l’affrontement PS/LFI. Et la France Insoumise estime que le poste de premier ministre lui revient. Quitte à entrer ensuite en conflit avec Emmanuel Macron dont le mandat présidentiel s’achève en 2027.
Les deux questions qui fâchent
Ce remake de «House of Cards» pose deux questions.
Question 1: la gauche française pourra-t-elle de toute façon gouverner au vu de sa très courte avance en députés? La seule manière de le faire, rappelons-le, sera de convaincre les autres formations politiques de ne pas censurer le gouvernement, soit en leur confiant des ministères, soit en faisant passer des lois qui leur conviennent et en misant sur leur non-agression.
Question 2: la gauche française a-t-elle intérêt à gouverner dans ces conditions, sachant qu’Emmanuel Macron peut toujours bloquer certains changements majeurs réclamés par son électorat, comme l’abandon du report de l’âge de la retraite à 64 ans?
On attend maintenant le nouvel épisode de la série «House of Cards» à gauche. A moins que le château de cartes du Nouveau Front Populaire, lançé à la mi juin, ne finisse par s’écrouler un mois plus tard.