Que serait-il advenu si les Talibans d’Afghanistan avaient pu faire dérailler le commerce mondial et prendre en otage l’approvisionnement des pays occidentaux? La réponse est fournie aujourd’hui par les frappes régulières de missiles tirés par les rebelles Houthis du Yémen sur les navires marchands et les porte-conteneurs reliant l’Asie à l’Europe, via le détroit de Bab El Mandeb, débouché de la mer Rouge sur l’Océan Indien.
Les Houthis, dont le nombre de combattants est estimé à environ 100'000 hommes, sont aujourd’hui l’ennemi numéro un de la mondialisation. Chacune de leur frappe fait trembler l’élite économique et financière présente cette semaine au Forum économique mondial de Davos.
Ces rebelles, dont les campagnes de recrutement se seraient soldées l’an dernier par l’embrigadement de plus de vingt mille nouveaux miliciens, ne sont pas sortis de nulle part. Le nom Houthi – du nom de la tribu dominante dont sont issus leurs fondateurs – désigne un mouvement structuré, au service d’une idéologie islamo-nationaliste.
La faction principale est composée de musulmans zaydites (une branche de l’islam chiite qui se réclame de la conception du chiisme enseignée par l’imam Zayd ibn Ali, arrière-petit-fils de l’imam Ali, quatrième calife de l’Islam). Ils tiennent traditionnellement la région de Sanaa, la plus grande ville et la capitale du Yémen. Le pays est en proie à une guerre civile qui dure depuis dix ans. Son gouvernement officiel, reconnu par les Nations unies, est basé à Aden et dirigé par le président Rashad al-Alimi.
Le déclic du printemps arabe
L’émergence politico-militaire des Houthis, contestée à partir de 2015 par l’offensive militaire de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis – deux puissances arabes sunnites, armées par les Occidentaux, dont la France – remonte à la révolte du printemps arabe de 2011. Leur principal soutien militaire est l’Iran, mais la phase actuelle démontre peut-être leur volonté de s’émanciper de ce seul bailleur de fonds, fournisseur de leur armement le plus sophistiqué.
«Les Houthis sont redoutables militairement et diplomatiquement, explique Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) de Genève, sur le réseau social X. Ils font un usage politique interne et externe des attaques américaines. Leur objectif est de passer d’un groupe isolé et allié à l’Iran à une organisation nationale yéménite qui soutient les Palestiniens et subit une agression internationale.»
Visibilité médiatique maximale
Pourquoi cette offensive à base de missiles, pour faire dérailler le commerce mondial à l’embouchure de l’indispensable canal de Suez? D’abord parce que la visibilité médiatique, et donc politique, donnée à leur mouvement est maximale. Une vidéo de propagande montrant l’assaut d’un navire par des commandos Houthis transportés par ULM a été reprise par de nombreux médias internationaux.
«Les Houthis sont engagés dans un programme transnational visant à libérer La Mecque et Jérusalem, explique le Middle East Institute de Washington dans une note récente. La guerre entre Israël et le Hamas a fourni une nouvelle opportunité de réaliser ce qu’ils perçoivent comme une promesse divine. Leur capacité à perturber le transport maritime international renforce leur confiance dans le fait qu’ils sont sur la bonne voie. Chose que Mohammed Abdulsalam, leur négociateur en chef et porte-parole, a confirmé à la chaîne qatarie Al Jazeera en décembre 2023. Nous avons insisté auprès de tous sur le fait que nos opérations visent à soutenir le peuple palestinien dans la bande de Gaza et que nous ne pouvons pas rester inactifs face à l’agression et au siège», a-t-il déclaré.
Contre l’Arabie Saoudite
L’autre motif de ces attaques est que la pression exercée sur les navires pétroliers et porte-conteneurs met l’Arabie saoudite, leur ex-ennemi avec lequel ils négocient depuis deux ans, en position délicate. Comment les autorités de Riyadh peuvent-elles justifier une décennie de guerre civile (une relative trêve était en vigueur depuis deux ans) sans être parvenues à un accord de paix durable?
Certains analystes estiment que les Houthis sont aujourd’hui tentés d’utiliser leurs effectifs renforcés pour forcer les Saoudiens à faire davantage pression sur le gouvernement d’Aden. Ils ont par exemple déployé 50'000 soldats autour de Marib, le dernier bastion du gouvernement yéménite reconnu par la communauté internationale.
Autre thèse souvent évoquée: le déplacement du centre de gravité de la «résistance» d’inspiration iranienne. Puisque le Hezbollah libanais est trop exposée, et court le risque d’être anéanti en cas de frappes massives contre Israël, les missiles des Houthis offrent une alternative stratégique à Téhéran. Avec l’assurance que la profondeur du territoire yéménite garantira aux Houthis une forme de protection, malgré les attaques aériennes contre leurs sanctuaires et leurs rampes de lancement lancées depuis plusieurs jours par les Américains et les Britanniques.