C'est fait. Un nouvel alinéa complète désormais l'article 34 de la Constitution française qui définit la loi et délimite son domaine. Son contenu? «La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie, d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse.»
Voilà donc l'avortement inscrit dans le marbre de la loi fondamentale de la République, à l'issue du vote de 780 députés et sénateurs, sur les 925 du Congrès, à savoir la réunion des deux chambres du parlement dans l'hémicycle du château de Versailles. Seuls 72 parlementaires ont voté contre. La France est le premier pays au monde à franchir ce pas constitutionnel qui sera confirmé par Emmanuel Macron le 8 mars, pour la journée internationale des droits des femmes.
Aucun autre pays, à ce jour, n’a en effet sanctuarisé le droit à l'avortement dans des termes aussi clairs. Une décision plus que symbolique, à l'heure où la liberté des femmes à disposer de leur corps est contestée dans de nombreux pays, y compris des démocraties comme la Pologne ou, surtout, les États-Unis.
«C‘est un pas historique»
«C‘est un pas historique. En ancrant ce droit existentiel pour les femmes dans la Constitution, la France donne un signal à l‘Occident tout entier. On y est enfin arrivé, 53 ans après le manifeste des 343 (pétition parue dans la presse française en avril 1971 appelant à la légalisation de l’avortement en France). Et cela, dans un climat politique où la droite se renforce» jugeait lundi matin, dans les colonnes du quotidien communiste «L’Humanité», la militante féministe allemande Alice Schwarzer.
Alors? Bravo aux femmes françaises et à celles qui, contre vents et marées, défendirent dans les années 70 la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse, comme l’ancienne ministre de la Santé Simone Veil ou l’avocate Gisèle Halimi? Pour les féministes, cela ne fait aucun doute. Simone Veil, qui batailla avec succès pour la loi du 17 janvier 1975 légalisant l’avortement, est d’ailleurs au Panthéon, le temple parisien des grands personnages de la République.
Mais attention aux louanges trop vite prononcées, car le vote des deux chambres du parlement ne signifie pas que tout est réglé, en France, sur ce sujet qui fracture encore une partie de la société. A Paris, la projection de vote sur grand écran, sur le parvis des droits de l'homme place du Trocadéro, n'a été suivie que par quelques centaines de personnes. Loin de la foule attendue par les organisateurs.
Fermeture des centres d’IVG
L'IVG constitutionnalisée? Oui, mais elle est aussi concrètement menaçée. Dans certains territoires, les fermetures de centres dédiés à l’IVG, en raison de restructurations hospitalières et de la restriction du nombre de maternités imposent aux femmes des trajets beaucoup plus longs, parfois 100 ou 200 kilomètres, déplore le Planning Familial. Près de 130 centres d’IVG ont, selon cette organisation, fermé en 15 ans. Dans l’Ain, département voisin de la Suisse romande, une femme sur deux doit aller dans un autre département pour avorter.
Le débat sur l’IVG dans la constitution
Le vote du Parlement est emblématique. L’Assemblée nationale puis le Sénat avaient, avant leur vote final de ce lundi, adopté le texte de modification de la Constitution dans les mêmes termes. Une victoire incontestable dans un pays où près de deux tiers des Français, selon un sondage de l’Institut IFOP, se disent favorables à cette constitutionnalisation. Une victoire qui conforte aussi les avancées légales de l'IVG au sein de l’Union européenne, spectaculaires ces dernières années.
IVG légale dans les 27 pays de l’Union
Aujourd’hui, les 27 pays membres de l’Union autorisent tous l’interruption volontaire de grossesse (IVG), depuis que Malte a adopté en juin 2023 une loi encore très restrictive. Un basculement symbolique est intervenu en Irlande, pays catholique ou l’église est très puissante, lorsqu’en mai 2018, 66,4% des électeurs ont dit «oui» à une loi élargissant le droit à l’avortement dans le pays, votée ensuite par le Parlement le 13 décembre.
En Suisse, c’est par la votation populaire du 2 juin 2002 que la population a accepté à plus de 72% de décriminaliser l’avortement jusqu’à 12 semaines de grossesse. Un précédent référendum sur la légalisation avait échoué en 1977, deux ans après la loi française. En juin 2023, deux initiatives ont été abandonnées faute d'avoir réuni les 100'000 signatures nécessaires. Depuis l’entrée en vigueur du droit à l’avortement, plusieurs tentatives visant à le restreindre ont été systématiquement refusées en votation populaire.
Les femmes françaises, unanimes? Pas tout à fait. Un récent sondage de l’institut Yougov note qu’environ 30% de celles-ci ne sont pas favorables à la constitutionnalisation, ou ne l’estiment pas indispensable. Selon l’enquête, les femmes sont 71% à soutenir la constitutionnalisation de l’accès à l’IVG, contre 60% pour les hommes. Il faut noter que Marine Le Pen, la cheffe de file du Rassemblement National, parti d’extrême-droite longtemps opposé à l’IVG, s’est ralliée à la constitutionnalisation tout en affirmant qu’il est «tout à fait décalé d’ouvrir un débat qui, s’il existe aux États-Unis, n’existe pas en France, aucune force politique n’envisageant de remettre en cause l’accès à l’IVG».
Sa nièce Marion Maréchal Le Pen, tête de liste du parti Reconquête d’Eric Zemmour aux élections européennes du 9 juin, a en revanche jugé le vote du Parlement de ce lundi comme un «gadget juridique destiné à faire plaisir à une petite minorité politisée».