On connaissait l’expression «président des riches». La gauche française ne rate pas une occasion de coller cette image et cette formule à Emmanuel Macron, pour dénoncer sa dérive vers la droite, illustrée selon elle par la composition du nouveau gouvernement de Gabriel Attal, 34 ans, pourtant venu du Parti socialiste. Une nouvelle expression rivalise désormais: «ministre de l’école des riches». Elle désigne la ministre de l’Education nationale Amélie Oudéa-Castera, 45 ans, dont les trois fils sont tous passés par des établissements scolaires privés, refuges de l’élite parisienne. Et au pays de la devise républicaine «Liberté, Égalité, Fraternité», cela passe plutôt mal!
Mais pourquoi donc un si mauvais casting? La réponse est simple: trop vite, trop loin des réalités, trop centré sur la communication et les annonces plutôt que sur le fond. Ancienne championne de tennis – elle a joué contre Martina Hingis – scotchée vers la 200e place du circuit professionnel dans les années 90, Amélie Oudéa-Castera était, jusqu’au début janvier, ministre des Sports, chargée de superviser l’organisation des prochains Jeux Olympiques de 2024 à Paris.
Choix judicieux, au début
Sur le papier, le choix était judicieux. Haut fonctionnaire diplômée de l’École nationale d’administration dans la même promotion qu’Emmanuel Macron (2002-2004), cette férue de compétition a remis de l’ordre à la Fédération française de tennis, dont elle fut la directrice générale. Le sport, le business, les infrastructures, les égos surdimensionnés des sportifs, la loi implacable des matchs gagnés ou perdus, les manigances des agents de joueurs, elle connaît. Logique, donc, d’avoir pensé à elle en 2022 pour reprendre le flambeau d’un ministère décisif pour l’image de la France. D’autant que ses passages aux comités directeurs de géants commerciaux comme Axa (assurances) et Carrefour (grande distribution) lui permettent d’ouvrir toutes les portes du monde du sponsoring, de l’argent et des affaires.
Seulement voilà, un CV n’est pas qu’une liste de diplômes ou de victoires remportées sur les courts. Il est aussi le récit d’une vie. Or, lorsqu'il a fallu d'urgence remplacer Gabriel Attal, nommé premier ministre, celle d’Amélie Oudéa-Castera n'a pas été passée au crible. Épouse de l’ancien patron de la Société Générale, l’une des premières banques françaises, l'intéressée est en effet issue de la grande bourgeoisie parisienne. Elle n’a jamais, hormis peut-être dans les gradins des tournois de tennis, fréquenté la France réelle. Enfance parisienne. Adolescence parisienne. Vie d’adulte parisienne. Le tout dans les meilleurs quartiers de la capitale française.
L’école républicaine? Inconnue ou presque dans sa famille, qui a des liens de parenté avec quelques personnalités du monde de l’audiovisuel comme les Duhamel (Alain, éditorialiste politique; Patrice, ex-dirigeant de chaîne; Benjamin, jeune éditorialiste). Chez les Oudéa-Castera, payer des frais de scolarité élevée pour les trois fils du couple est juste normal. Direction donc le collège Stanislas, l’un des établissements les plus huppés de Paris.
Assumer son itinéraire
Le problème est que cet itinéraire scolaire et familial doit être assumé. Le jeune Premier ministre Gabriel Attal, fils d’un producteur de cinéma fortuné et lui-même scolarisé dans le privé, n’a jamais été mis en difficulté sur ce terrain lors de son bref passage de six mois au ministère de l’Education nationale. Normal. Il était élève, pas parent d’élève. Or Amélie Oudéa-Castera a menti et tordu les règles. Mensonge sur les raisons qui l’ont poussé à exfiltrer ses fils dans le privé (soi-disant l’absentéisme des profs dans le public). Et contournement problématique, selon le site Mediapart, des règles en vigueur pour l’orientation de l’un de ses fils sur la plateforme Parcours Sup. S’y ajoute son incapacité à parler normalement aux élèves qu’elle rencontre depuis sa nomination. Lors de sa première visite d’une école, la nouvelle ministre s’est ébahie sur les baskets portés par les élèves, preuve selon elle de leur pratique sportive. Il est vrai qu’au collège de ses fils, seules les chaussures en cuir sont tolérées.
Déluge de critiques
Le résultat? Un déluge de critiques, et une cascade de phrases malheureuses de la part d’une ministre à l’évidence plus à l’aise avec les milieux d’affaires qui écument la planète sportive qu’avec des enfants issus d’autres quartiers que le sien: le VIe arrondissement de Paris, c’est-à-dire le plus riche de la capitale française. Emmanuel Macron, en voulant aller vite, a raté cette marche cruciale de l’Education nationale. L’école des riches est aujourd’hui sur le devant de la scène. Et les enseignants des écoles publiques sont priés de ruminer leurs colères devant cette ministre symbole des inégalités scolaires, dans un pays obsédé par l’ascenseur social (qui ne fonctionne plus) et par l’égalité des chances (de plus en plus théorique).