Une star. Une politicienne qui fait de la politique comme d’autres font du rap: à coups de «punchlines», en misant sur le langage le plus trash et sur des tenues signées par les plus grands couturiers français. Rachida Dati, 58 ans, est tout ce qu’Emmanuel Macron aurait sans doute aimé incarner, sans y parvenir depuis son élection en 2017 à la présidence de la République: l’ascension sociale à tout prix d’une femme issue d’une famille immigrée d’origine marocaine, dans une banlieue populaire de Chalon-sur-Saône, en Bourgogne; le goût de la réussite et de l’argent en restant populaire; la capacité à demeurer soi-même dans son camp politique et à faire peur à tous ses adversaires.
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Oubliez l’image de l’élégance à la Française version Catherine Deneuve ou Sophie Marceau: Rachida Dati, nommée ministre de la Culture française le 11 janvier à la surprise générale, ne cherche pas à impressionner par la finesse de son autorité. Elle séduit d'abord, et puis elle cogne. «C’est pour cela que je la compare à une rapeuse, sourit Yves Bigot, le PDG de la chaîne francophone TV5 Monde, dont la SSR est partenaire. Elle a toujours aimé ce qui brille. Elle a toujours su taper là où ça fait mal. Et elle n’a toujours regardé que dans une direction: le sommet.»
Le sommet, version Rachida Dati, se nomme Paris. C’est dans la capitale française que cette juriste de formation, parvenue à arracher dans les années 80 ses diplômes de droit et un premier poste de magistrat grâce à l’appui de solides mentors masculins – dont un ancien ministre de la Justice, Albin Chalandon – a toujours vu son avenir. Paris! Une ville lumière dont l’élite lui est, en théorie, si étrangère. Rachida Dati n’a rien d’Emily, l’Américaine de la série à succès Netflix qui débarque au pied de la Tour Eiffel avec un portefeuille bien garni et toutes les adresses des boutiques huppées.
Repérée par Nicolas Sarkozy
Lorsqu’elle y débarque à la fin des années 1990, repérée par un Nicolas Sarkozy alors jeune ministre de droite déjà bien décidé à conquérir l’Élysée, la provinciale d’origine marocaine n’a que deux atouts en main: son charme et sa ténacité.
Son objectif? Forcer la porte des cercles fermés du pouvoir, dans les affaires comme dans la politique. Son arme? Être prête à tout, en misant sur ses origines sociales, dans une République toujours obsédée par l’égalité des chances.
Rachida Dati, on le sait peu, flirte d’abord avec la gauche. Elle regarde du côté du parti socialiste, orphelin de François Mitterrand, décédé en janvier 1996 après 14 ans de présidence. Mais sa volonté de réussite et son goût pour une vie bourgeoise convient bien mieux à la droite.
Du rimmel et des larmes
La voici enrôlée au sein du parti gaulliste, soutenue par des figures politiques plus centristes et très respectées, comme l’ancienne ministre Simone Veil, rescapée d’Auschwitz. Rachida se fait un prénom quand d’autres se font un nom. Ses opposants lui reprochent de «coucher utile», en misant sur sa beauté pour faire tomber tous les obstacles. Elle en rigole. Elle assume. Elle en souffre aussi. L’une de ses biographes, la journaliste Jacqueline Remy, a bien résumé son parcours en quelques mots dans le titre d’un livre qu’elle lui a consacré: «Du rimmel et des larmes». Maquillage, ascension forcenée, douleur et tristesse.
Emmanuel Macron, maître en communication et en disruption, avait besoin d’une «prise de guerre» pour espérer relancer son second mandat, compliqué par l’absence de majorité absolue au parlement. La voici donc, presque vingt ans plus tard. Car le parcours de Rachida Dati en politique est indissociable de sa première nomination surprise par un autre président. En mai 2017, alors qu’elle vient d’achever sa campagne victorieuse comme porte-parole, Nicolas Sarkozy la nomme ministre de la Justice.
Le symbole est fort. L’expérience dure deux ans, marquée par les colères de l’intéressée. Mais cette fois, c’est fait: Rachida rime avec pouvoir et plus rien ne l’arrêtera. Elle devient députée européenne en 2009, mandat qui ne l’intéresse guère. Car pour elle, seul Paris compte. En mars 2008, elle a conquis la mairie du très chic VIIe arrondissement, où se trouvent la plupart des ministères… et l’Ambassade de Suisse. Elle veut devenir maire de la capitale, comme jadis Jacques Chirac. Paris ou rien… ce sera son combat.
Deal presque parfait
Ministre de la Culture? Le deal est presque parfait pour Emmanuel Macron. Ce chef de l’État souvent qualifié en France de «président des riches» a besoin de parler au peuple. Il sait aussi que la population issue de l’immigration rêve de réussite «à la Rachida». Et surtout, il veut casser la droite, dont celle-ci est la dernière star. Bien joué. Rachida Dati, elle, ne connaît guère le monde des arts. Mais elle a ses relais dans une industrie voisine: celle du luxe. Elle en connaît tous les ténors.
Musulmane elle-même, non pratiquante, elle sait faire le grand écart entre les quartiers populaires de banlieues, où l’islam domine, et l’avenue Montaigne, sanctuaire des grands couturiers. L’ancienne ministre de la Culture Roselyne Bachelot (2020-2022), elle aussi venue de la droite, croit dans son étoile: «Elle travaille. Elle est rigoureuse. Elle plaît. Elle saura se trouver des alliés.» Avec un argument: l’argent public dont dépendent, en France, presque tous les acteurs de la culture.
Et maintenant?
Et maintenant? Paris bien sûr. Rachida Dati, mère d’une adolescente née d’une brève union avec un homme d’affaires célèbre (qu’elle a forcé à reconnaître sa paternité), a, dès son arrivée au gouvernement, répété qu’elle se candidate aux municipales dans la capitale en 2026. Emmanuel Macron, en retour, a promis de changer le mode de scrutin, pour que le maire de Paris ne soit plus élu par les conseillers d’arrondissements (sorte de grands électeurs à l’américaine) mais directement par le peuple. Donnant-donnant.
Le parti de droite «Les Républicains», qui l’a aussitôt exclue de ses rangs, est assommé. Les élites bourgeoises parisiennes tremblent. Rachida Dati, combattante sans scrupules, est prête pour l’assaut final. La culture, cette vitrine, lui servira de tremplin. Avec, en fond sonore, les paroles de la rappeuse parisienne Diams, aujourd’hui convertie à l’islam rigoriste: «Alors, j’ai continué à courir, à chercher/Toujours plus haut/Toujours plus loin/Toujours plus dangereusement…»