Bruno Le Maire a trouvé son arme de destruction massive contre l'inflation. Depuis l’annonce, voici une semaine, du blocage des prix sur «5000 références» essentiellement alimentaires, le ministre français des Finances négocie d’arrache-pied avec les grands distributeurs et les enseignes dans lesquels vont s’approvisionner ses concitoyens.
Les marques concernées sont connues des Suisses, surtout ceux qui font leurs courses en France: Leclerc, Casino, Auchan, Carrefour, Monoprix… Derrière ces enseignes? Des conglomérats devenus les emblèmes de la France commerciale qui profite de la hausse des prix. Ce qui les rend coupables aux yeux d’une bonne partie de la population. Coupable d’avoir ces dernières décennies dévitalisé les centres-villes et tué les petits commerces de proximité. Et coupable, en période d’inflation (12% anticipé en France pour 2023 en général, 23% sur les produits alimentaires), de profiter de la valse des étiquettes pour augmenter leur chiffre d’affaires et leur marge opérationnelle.
En riposte, le gouvernement français, fidèle à sa tradition d’intervention de l’État dans l’économie, a donc décidé de bloquer les prix. Concrètement, le ministère des Finances et sa direction générale de la concurrence et des fraudes (DGCCRF) veulent maintenir inchangés les tarifs de cinq mille produits essentiels, et obtenir même une baisse de leurs prix début 2024. De quels produits parle-t-on? D’aliments de base comme les pâtes, de l’huile, d’ingrédients de première nécessité, de produits ménagers.
5000 produits, ce n’est pas rien: c’est environ un quart du total des produits disponibles dans un hypermarché. Jusqu’ici, seuls 1500 produits étaient concernés. Et les distributeurs faisaient de la résistance. «Mi-mai, les 75 plus gros industriels de la grande consommation s’étaient engagés à rouvrir les discussions sur leurs tarifs, mais sous des conditions très restrictives. 50 sur 75 ont refusé de répondre. Quant à ceux qui ont accepté de rediscuter, ils ont proposé des baisses de prix temporaires sur quelques références et sur des produits qui se vendent moins bien», expliquait le quotidien «Le Monde». Un groupe de la grande distribution est par ailleurs en pleine restructuration: Casino, basé à Saint-Etienne, qui croule sous un endettement de 6,4 milliards d’euros.
Deux marques internationales sont, d’après nos informations, dans le viseur des inspecteurs de la DGCCRF: l’Américain Unilever et le Suisse Nestlé. Leurs baisses de tarifs sont jugées trop peu nombreuses. Les hausses de prix imposées aux consommateurs dépassent, selon le ministère des Finances, l'impact réel de l'inflation. Une attitude inacceptable dans un pays passionné d'égalité comme la France, où l'association Les restos du coeur affirme qu'elle sera bientôt en cessation de paiement, si son déficit de trente millions d'euros n'est pas comblé d'urgence. Preuve de l'urgence sociale, en cette fin d'été, le géant du luxe LVMH a déjà annoncé un don de 10 millions d'euros...
Quelle efficacité?
Le problème est toutefois l’efficacité de ce dispositif de blocage des prix. Selon l’hebdomadaire spécialisé «Que Choisir», elle est très relative: «Nous avons passé en revue les évolutions de prix d’un large échantillon de produits des paniers anti-inflation (entre 50 et 150 références selon l’enseigne), entre le 23 mars et le 10 mai, pour les 5 enseignes participant au 'trimestre anti-inflation' lancé par le gouvernement», pouvait-on lire dans ces colonnes en juin. Résultat: en moyenne, les prix ont légèrement augmenté chez Intermarché, Casino et Système U, et ils sont restés stables chez Carrefour. La seule enseigne qui enregistre un recul ténu est Auchan – mais c’est elle qui avait auparavant accusé la plus forte hausse, comme nous le relations. On est loin d’une baisse des prix de 13%…»
Dans les faits, guère de baisses
«Que Choisir» ajoute: «Tous les mois, nous calculons l’inflation sur un panier représentatif des achats en grande surface. En mai 2023, les prix ont augmenté de 8,5% (par rapport aux prix de décembre). La mise en place des paniers anti-inflation n’a en rien permis de juguler l’inflation qui a débuté début 2022.» Autre problème: la rentrée scolaire ce lundi 4 septembre. 11% d’augmentation pour le contenu du cartable, pardon, du sac à dos qui abîme l’épaule des douze millions d’élèves français ! Soit entre 20 et 30 euros de plus par rapport au 230 euro que coûtent, en moyenne, les fournitures scolaires de base. Preuve, s’il en était besoin, que le pays est aujourd’hui à deux vitesses: ceux qui peuvent encaisser le choc de l’inflation. Et ceux qui ne le peuvent pas et devront se contenter de pâtes. À prix bloqué!