Le débarquement du 6 juin 1944 aurait pu tourner à la catastrophe pour les alliés. Plus qu’une catastrophe d’ailleurs: un cataclysme militaire et politique dont nous continuerions sans doute aujourd’hui, 80 ans plus tard, de payer le prix.
Oui, l’Allemagne nazie aurait pu remporter cette bataille sur les plages normandes. Le livre de Peter Caddick-Adams, passionnante plongée dans toutes les séquences de cette journée fatidique, le démontre amplement. Mais il aurait fallu pour cela trois choses que les armées d’Adolf Hitler n’avaient plus, face à l’armada américaine, britannique et canadienne: des chefs déterminés, du matériel en surnombre et performant, et des soldats capables d’encaisser le choc sur les plages d’Omaha, Juno, Utah, Gold et Sword, là où déferlèrent les centaines de milliers de «boys».
Recommander la lecture d’un livre de près de 900 pages est toujours audacieux. C’est sans doute même insensé. Mais «De Sable et d’Acier» (Ed. Passés Composés) mérite absolument une exception. Tout y est. Tous les secrets. L’historien (et ancien officier) britannique nous plonge dans les réunions du commandement suprême, dans la tête de Dwight Eisenhower et aussi dans les couloirs des États-Majors allemands déboussolés et pris au dépourvu, car intoxiqués par les opérations de désinformation des alliés.
Avec leurs maîtresses françaises
Le plus drôle – mais comment utiliser ce terme alors que des milliers de soldats périrent en quelques heures sur le sable des plages normandes – est que plusieurs officiers supérieurs nazis sont, ce 6 juin, à Paris avec leurs maîtresses françaises. On savait que leur commandant, Erwin Rommel, était en Allemagne ce jour-là. Il mettra quatre jours avant de revenir sur le front normand, déjà enfoncé. Mais plusieurs autres généraux sont absents de leurs postes. Leurs préoccupations du moment dit l’écroulement progressif du régime nazi, assommé par la guerre sur le front de l’Est.
Vladimir Poutine n’a pas été invité aux commémorations de ce 6 juin 2024 qui verront plus de vingt chefs d’État ou de gouvernement se retrouver autour d’Emmanuel Macron. La guerre en Ukraine est passée par là. Zelensky, lui, sera présent. Or la réalité historique est indéniable: l’Allemagne nazie est, le 6 juin 1944, à bout de forces. Cela n’empêchera pas ses armées de se battre avec férocité, notamment les divisions SS cachées dans le bocage normand.
Infériorité militaire du Reich
Mais l’auteur énumère les informations qui disent l’infériorité militaire d’Hitler et des siens. Il raconte la stupéfaction des alliés lorsqu’ils découvrent l’utilisation massive des chevaux pour tracter les pièces d’artillerie allemandes. Ils sont estomaqués lorsqu’ils voient que les fantassins de la Wermacht – parmi lesquels de très nombreux Polonais, ou Russes capturés – circulent à bicyclettes! Le mythe de la force nazie est démoli tout au long du livre. S’y ajoute l’incapacité des chefs allemands à s’entendre. Les officiers antinazis espèrent secrètement la défaite en Normandie. Le débarquement se déroule, de facto, sur fond d’agonie hitlérienne.
Les images du «Jour le plus long»
Les Allemands auraient pourtant pu l’emporter devant cette armada invraisemblable de navires, de canons, de barges de débarquements, d’avions, de fantassins, de chars. A deux conditions. La première est qu’ils auraient du être informés et se préparer. Or ils ne l’étaient pas. Le fameux projet «Fortitude» de désinformation et de contre-espionnage les avait déboussolés. Leurs divers services de renseignement ne se faisaient pas confiance. Résultat: la Wermacht se retrouve piégée dans ses bunkers, dont beaucoup ne sont pas encore achevés.
Jusqu’au bout, le secret préservé
Les pages les plus formidables du livre sont celles qui racontent, à l’inverse, l’entraînement des troupes alliées au Royaume-Uni, la capacité à tenir le secret jusqu’au bout, le tempérament d’Eisenhower, le commandant suprême, un «bon gars du Kansas», qui parvient à faire fonctionner sa coalition et à inspirer confiance à ses officiers comme aux hommes de troupe.
La seconde condition qui a scellé la défaite allemande est l’héroïsme. Le portrait que dresse l’historien du Général Ted Roosevelt (fils de l’ancien président Théodore Roosevelt) sur la plage d’Utah, debout avec sa canne en train de diriger les nouveaux débarqués, est juste fantastique de panache, de courage et de lucidité.
Ne ratez pas la lettre d’un capitaine américain reproduite page 638. Écrite en haut de la falaise de la pointe du Hoc, conquise de haute lutte par les «Rangers», elle dit tout. Le film «Le jour le plus long» était, en somme, déjà gravé dans l’épopée de ce 6 juin 1944. Et celle-ci résonne encore dans les cimetières alliés, comme à Colleville sur Mer: «Ce que j’essaie de dire, chers parents, écrivait Joseph T. Dawson, c’est qu’on ne pourra jamais rendre justice à l’endurance et à l’héroïsme de l’homme et du soldat américain […] Je suis accompagné par les hommes les plus braves, les plus beaux et les plus grandioses à qui Dieu ait prêté vie.»
A lire: «De Sable et d'Acier» de Peter Caddick-Adams (Ed. Passés Composés)
Et aussi:
«Le débarquement, vérités et légendes» de Nicolas Aubin (Ed. Perrin)
«Philippe Kieffer, chef des commandos de la France libre» (Ed. Tempus)
«Nous y étions» de Annick Cojean (Ed. Grasset)
«Le débarquement, son histoire par l'infographie» (Ed. Seuil)
«L'Amérique en guerre» de Christophe Prime (Ed. Perrin)