Ils sont venus braver les forces de police déployées pour empêcher toute marche. Ce samedi 28 octobre, ils étaient des milliers, disséminés dans les rues du centre de Paris, dans le quartier Châtelet-Les Halles, à défiler le poing levé, et le drapeau palestinien à bout de bras. Impossible, pourtant, d’aller plus loin, et surtout de marcher en direction de la très symbolique Place de la République.
A la mi-journée, le tribunal administratif a confirmé l’interdiction de cette manifestation par les autorités, inquiètes des possibles débordements. A Rouen ou à Montpellier, en revanche, des manifestations ont été autorisées. Idem dans de nombreuses villes d’Europe où les frappes israéliennes de la nuit précédente sur la bande de Gaza, et les risques de «carnage» dans ce territoire peuplé de deux millions d’habitants, ont à nouveau jeté sur le pavé des dizaines de milliers de manifestants. Des milliers de manifestants à Londres samedi. Des dizaines de milliers attendus à Madrid ce dimanche.
«La Palestine vivra»
Braver la police? Dans le cortège parisien, l’interdiction n’est pas acceptée. «La rue européenne gronde. Il n’y a pas que la rue arabe qui se mobilise pour la Palestine» juge un meneur de la manifestation interdite, place du Châtelet, mégaphone en main. Il crie «la Palestine vivra».
Il harangue la petite foule présente à ses côtés à dénoncer le «massacre en cours». Cette «rue européenne», que l’on voit ces jours-ci prendre fait et cause pour la population civile de Gaza enfermée dans un potentiel «charnier» – mot employé par plusieurs responsables humanitaires au vu des risques colossaux de pertes humaines – n’accepte plus ce qu’elle considère comme un «deux poids - deux mesures».
Décompte macabre
Chacun veut rester anonyme. Des hommes parlent derrière leur keffieh, le foulard palestinien, symbole de la lutte. L’un des manifestants parisiens nous interpelle: «Nous en sommes à près de 7500 morts palestiniens face à plus d’un millier de morts israéliens et environ 220 otages. Personne n’a envie de faire ce décompte macabre, mais comment ne pas avoir ces chiffres en tête alors que l’intervention militaire israélienne contre le Hamas à Gaza doit encore s’intensifier. Un mort israélien pour quatre morts palestiniens. Qui peut parler de droit d’Israël à se défendre, de droit humanitaire, de droit de la guerre?»
La «rue européenne» est majoritairement jeune. A Paris, Londres, Madrid, Rome, Athènes, les vétérans de la cause palestinienne mobilisent dans les rangs des jeunes générations qui, pour la grande majorité des manifestants, ne connaissent la bande de Gaza que de nom.
Cette «rue européenne» est, bien sûr, pour l’essentiel composée de citoyens de confession musulmane. Pas seulement, mais très largement. Leurs mots d’ordre, trois semaines après le 7 octobre, ne sont toutefois pas guerriers. Ils réclament surtout la paix, l’arrêt des combats, une «trêve humanitaire» que les dirigeants de l’Union européenne, comme le secrétaire général de l’ONU, exigent eux aussi.
Ils sont plus nombreux que ne l’ont été, c’est vrai, les manifestants descendus dans les rues pour soutenir Israël attaqué par l’assaut du Hamas le 7 octobre. Beaucoup de juifs européens ont raison de s'en émouvoir. Ils se sentent seuls. Défendus par les autorités, mais exposés, voire désignés comme coupables alors qu'Israël a été attaqué, que des enfants ont été tués, que des scènes d'horreur ont eu lieu lorsque les commandos du Hamas ont déferlé.
Narratif «arabo-musulman»
Faut-il s’en émouvoir? Le «narratif» arabo-musulman l’emporte-t-il sur celui de l’État Hébreu, qui se bat pour sa survie et peut compter sur le soutien de l’ensemble des pays occidentaux? «Jamais Israël ne pourra, à nos yeux de musulmans, apparaître comme une démocratie réelle et respectueuse de tous tant que ses bombes et ses missiles écraseront Gaza» s’énerve Charlène, une manifestante parisienne.
«Nos amis juifs israéliens se trompent s’ils pensent que le fait d’avoir été attaqués de manière sauvage et infâme leur donne tous les droits. Vous parlez de «la rue européenne»? Et bien écrivez cela. Ici, nous ne réclamons pas la vengeance, la loi du talion, le sang. Nous défilons pour le droit d’un peuple à exister: celui de la Palestine opprimée.»
L’antisémitisme en hausse
Et les interdictions? Et l’antisémitisme, qui augmente partout en Europe, c’est indéniable? Et le risque d’une déflagration régionale engendrée par les exactions du Hamas, pile le jour du 50ème anniversaire de la guerre du Kippour qui virent les armées égyptiennes et syriennes chercher à détruire Israël en 1973?
Les images atroces en provenance de Gaza, que chacun montre sur son téléphone portable, interdisent le débat. Les ruines du territoire, les cris dans la nuit illuminée par les seules bombes israéliennes, empêchent de prendre du recul. Prise en otage par cette guerre entre le Hamas et Israël, Gaza meurt. Et sa souffrance ébranle les consciences de ce côté-ci de la Méditerranée.