Importer la démocratie directe pour changer la France! C’est ce que veut Marine Le Pen, l’adversaire politique numéro un d’Emmanuel Macron, attendu à Berne ce mercredi 15 novembre pour une visite d’État de deux jours.
Le président français propose lui aussi davantage de référendums. Il a même invité les partis politiques pour en parler après son voyage helvétique, le 17 novembre. Mais rien en Suisse dans son programme sur ce sujet! Impensable selon Marine Le Pen, pour qui le chef de l’État «méprise au fond les Français».
Sur le devant de la scène ce dimanche, en raison de sa participation à la grande marche contre l’antisémitisme à Paris, nouvelle étape dans la normalisation de son parti longtemps positionné à l’extrême droite, la patronne du Rassemblement national a donc choisi de l’interpeller, en exclusivité, dans les plateformes de Blick, sur la question du référendum. Marine Le Pen le promet: elle consultera bien plus souvent le peuple si elle accède un jour au palais de l’Élysée. On attend les réponses présidentielles.
Marine Le Pen, votre parti ressemble de plus en plus à l’UDC suisse. Un parti de droite dure normalisé, accepté… et rejeté par une partie du pays. Ce dimanche, vous avez manifesté contre l’antisémitisme à Paris. Vous défendez le référendum. Vous dénoncez les diktats de l’Union européenne. UDC – Rassemblement national, mêmes combats?
Je trouve toujours périlleuses les comparaisons avec les pays étrangers. Ce que je constate, c’est que les Français nous considèrent aujourd’hui comme une formation politique apte à gouverner. Ils réalisent que les campagnes de diabolisation menées contre nous étaient un écran de fumée.
Oui, nous avons des points communs avec l’UDC: cela fait 25 ans que nous mettons en garde contre le fondamentalisme islamique et ses conséquences sur nos libertés; 25 ans que nous mettons en garde contre ce danger majeur qu’est l’immigration incontrôlée. À quoi a servi cette diabolisation du Rassemblement national, à laquelle participe toujours Emmanuel Macron? À protéger les places de ceux qui les occupent, à permettre à la vieille classe politique de conserver ses réflexes de paresse intellectuelle. Je ne suis pas d’accord. Que les électeurs nous jugent sur ce que nous sommes aujourd’hui, pas sur des fantasmes hérités du passé! On tape sur le Rassemblement national avec des arguments archéologiques.
Accuser votre parti d’avoir été antisémite, c’est de l’archéologie?
Nous étions dimanche à notre place, dans la grande manifestation parisienne contre l’antisémitisme. Des personnalités très respectées comme Serge Klarsfeld se sont réjouies de notre présence. Qui n’était pas là? L’extrême gauche. Et vous avez remarqué que lorsqu’ils sont absents d’une manifestation, tout se passe bien. Pas de casse. Une bonne ambiance. Que l’on juge le Rassemblement national sur ce qu’on fait et ce qu’on dit aujourd’hui.
Si vous deviez expliquer aux Suisses qui est Emmanuel Macron, ce président qui arrive à Berne ce 15 novembre pour une visite d’État?
C’est un président qui, au fond, méprise les Français. Il prétend vouloir introduire plus de référendums dans la Constitution, mais il insulte en permanence ses concitoyens et gouverne contre le peuple. Déclencher l’article 49.3 de la Constitution, qui permet l’adoption d’un projet de loi sans vote, sur un sujet aussi important que la réforme des retraites, c’est démocratique? J’espère que les Suisses ne sont pas dupes.
On utilise le terme d’extrême droite pour disqualifier le Rassemblement national, dans l’espoir de susciter contre nous un nouveau «Front républicain». Or nous sommes, avec nos 88 députés issus de toutes les catégories sociales et de tous les territoires, bien plus représentatifs que le parti présidentiel, Renaissance. Nous formons un collectif qui travaille et se montre digne, en respectant parfaitement la courtoisie républicaine. Les Français voient maintenant que nous pouvons gouverner. Ils sont rassurés. Macron, lui, est un président qui gouverne par la peur.
Le président français vient en Suisse pour parler d’Europe. Il va aussi parler investissements. Revenons à votre famille politique. Vous êtes de droite, non?
Je comprends qu’un Suisse me pose la question. Mais en France, la droite et la gauche ont mené pendant 40 ans la même politique! C’est pour cela que je défends un autre clivage: celui qui sépare les mondialistes des nationaux. Je le trouve bien plus pertinent. Macron, c’est le mondialiste type. Moi, je défends la nation, comme le fit jadis le général de Gaulle. Mon parti défend une protection sociale forte, laquelle ne peut exister que dans un cadre national.
Le référendum «à la Suisse», vous y croyez? Vous voulez l’importer en France?
Je ne veux pas importer votre système de votations. Votre tradition de recours à la démocratie directe est si avancée qu’on ne peut pas s’en inspirer telle quelle. Le combat essentiel, pour moi, est d’abord de restaurer par référendum la primauté de la Constitution. C’est la loi suprême du peuple. C’est au peuple de la modifier et c’est ce que je proposerai.
Moi, je peux parler du référendum en connaissance de cause. Nous avons fait des propositions, sur les choix de société comme les choix écologiques. Je veux briser ce cercle infernal où l’on ne consulte jamais le peuple. Je veux que les électeurs puissent se prononcer sur des grandes questions de société: la fin de vie, la procréation médicalement assistée… Et bien sûr, l’immigration!
Un référendum sur l’immigration, comme envisage de le proposer Emmanuel Macron? N’a-t-il pas invité les partis politiques pour en parler dès son retour de Suisse, le 17 novembre?
Sa proposition, dont on ne connaît même pas les contours, n’est pas sérieuse. Elle ne tient pas. Idem pour celle défendue par la droite. La nôtre est plus simple et bien plus claire: nous proposons aux Français de se prononcer par référendum sur un projet de loi qui introduira un rappel dans la Constitution, selon lequel aucune jurisprudence émanant des cours de justice internationales ne pourra s’appliquer en France si elle est contraire à notre loi fondamentale. Sur l’immigration, notre proposition est donc simple: constitutionnalisons le droit des étrangers pour le mettre à l’abri du démantèlement par les juges internationaux. Nous garderons ainsi l’entière maîtrise de notre législation.
Les Suisses, vous l’avez dit, sont habitués aux référendums. Pas les Français. Comment faites-vous pour «éduquer» vos concitoyens à voter pour l’objet du référendum, et non contre le pouvoir en place?
D’abord, on supprime les mensonges qui créent de faux espoirs, comme la procédure dite du référendum d’initiative partagée qui existe dans la constitution française. Elle n’a aucun sens! Recueillir 4 millions de signatures pour saisir le Parlement? C’est ridicule. Il faut d’emblée diminuer le seuil des signatures, autour de 500’000. Il faut ensuite bien clarifier le champ du référendum.
Je ne suis pas favorable, par exemple, à un vote sur des questions de sécurité nationale, comme l’existence ou non d’une armée. Ce RIC, ou référendum d’initiative citoyenne, ne devrait pas, selon moi, pouvoir modifier la Constitution. Vous voyez que je ne suis pas suisse! Ce qu’il faut, c’est un mécanisme de démocratie direct fonctionnel, pas une nouvelle opération de communication à la Macron! L’actuelle Constitution française prévoit la possibilité de consulter le peuple sur les questions d’organisation économique et sociale. Social, c’est ce qui touche à la société. Donc allons-y. Et pas pour faire approuver un énième projet de loi sur l’immigration. Soumettons au peuple français des règles claires, compréhensibles.
C’est bien pour ça qu’Emmanuel Macron propose de constitutionnaliser l’avortement…
Je ne crois pas qu’il y aurait 500’000 Français prêts à signer pour un référendum pour ou contre l’avortement. C’est une question classée. Même dans les partis les plus proches de l’Église catholique, ce n’est plus un sujet.
Imaginez que vous êtes à la place d’Emmanuel Macron en visite en Suisse. Vous posez quelles questions sur le référendum?
J’aimerais demander à mes interlocuteurs comment importer le sacro-saint respect des règles du jeu de la démocratie directe. Le peuple vote. C’est le souverain. Comment faire pour que tout le monde respecte sa décision? Je les interrogerais aussi sur le risque de lassitude, à force de voter si souvent.
Bref, comment garder un niveau de confiance dans nos institutions démocratiques. Quel est le bon seuil de signatures, pour le dépôt d’une proposition, puis de participation lors du vote. Je l’ai dit: les Français ne sont pas les Suisses. Je suis très attachée à notre Constitution. Je ne souhaite pas une VIe République. Mais l’on pourrait opter pour une sorte de Ve République bis, en la dotant d’une procédure fonctionnelle pour le RIC.
Vous rêvez donc, quelque part, de transformer un peu la France en Suisse?
Pas du tout. Je veux une République qui fonctionne et dans laquelle le peuple puisse être consulté sans que cela conduise à chaque fois à la tromperie – comme lorsqu’on a refait voter par le parlement un traité similaire à la Constitution européenne rejetée par référendum en 2005 – ou à la fracture du pays. Je suis convaincue que le peuple français est raisonnable.
Aujourd’hui, il se braque parce qu’on ne le consulte jamais. La sanction de l’exécutif, c’est l’effet pervers de la rareté des votes. Bon, je mets une limite: l’extrême gauche. En France, ce camp politique n’acceptera jamais l’intégralité des décisions populaires si celles-ci sont contraires à ses convictions. Ma conviction est que le peuple a toujours raison, même quand il a tort. J’assume. Pourquoi sinon parler de démocratie? Bien sûr, il faut des garde-fous. Les traités internationaux, les Nations unies, tout cela doit exister pour éviter que se répètent les tragédies de l’Histoire. Mais le seul souverain, c’est le peuple.
Un type de référendum vous pose problème: les référendums locaux…
Oui, quand ils ont une dimension nationale. La France a construit son unité républicaine. Je ne veux pas la défaire en permettant à telle ou telle partie de la population, dans une région, de s’opposer à un projet d’infrastructure indispensable pour le pays. Si ces infrastructures sont de portée nationale, et qu’elles affectent l’organisation du pays, alors le référendum doit être national.
Il y a quand même des limites inhérentes au fait que la France est, contrairement à la Suisse, membre de l’Union européenne.
Je répète mon principe de base: nulle jurisprudence internationale ne doit pouvoir s’imposer à notre Constitution. Je propose aussi de réfléchir à un texte sur les droits des peuples et des nations. Est-ce normal qu’aujourd’hui, des firmes internationales affichent un chiffre d’affaires supérieur au PIB de certains pays, et dictent nos vies? Les nations et les peuples ont des droits fondamentaux, comme le droit à la défense de leur identité.
Vous me parlez maintenant de l’Union européenne. Oui, nous avons un problème démocratique. Un problème énorme nié par Emmanuel Macron et son parti Renaissance, car ils sont européistes. La Commission européenne prend des initiatives qu’elle ne devrait pas prendre contre les États membres. Obliger les pays membres qui n’acceptent pas de migrants à payer 20’000 euros par immigré refoulé, c’est ça, l’Europe démocratique? C’est le syndrome du locataire qui se prend pour le propriétaire!
La démocratie directe que je défends pour la France, mesurée et adaptée à nos traditions, aura pour but d’éviter la désagrégation, de redonner du sens, de permettre aux Français de se réapproprier la nation et la seule communauté qui vaille: la communauté nationale.