La France a en partie retenu, ce dimanche, les leçons de son histoire. Prés de 200'000 personnes ont défilé, à Paris et en province, pour la marche contre l'antisémitisme, à l’initiative des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. Dans la capitale, cette marche a relié les deux Assemblées. Elle a réuni près de 100'000 personnes, dont les représentants du Rassemblement national, le parti national populiste dirigé par Marine Le Pen dont le père, Jean-Marie, fut condamné pour propos antisémites. La formation de gauche radicale La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon a en revanche boycotté le cortège.
Mobilisation massive ou moyenne?
La satisfaction est de voir que cette mobilisation massive de Français juifs et non juifs, a apporté la preuve que le pays est relativement uni dans la dénonciation de ce fléau, même si l'ampleur de cette manifestation n'a pas égalé celle des 10 et 11 janvier 2015, après le massacre de la rédaction de «Charlie Hebdo» par deux islamistes fanatiques, les frères Kouachi.
L'inquiétude, toutefois, est que les plaies du pays, illustrées par les manifestations régulières de soutien à la cause palestinienne, sont toujours à vif. Un risque contre lequel Emmanuel Macron a mis en garde dans une tribune rendue publique ce dimanche matin: «Une France où nos concitoyens juifs ont peur n’est pas la France. Une France où des Français ont peur en raison de leur religion ou de leur origine n’est pas la France» avait écrit le chef de l’État au matin de cette manifestation à laquelle il ne participait pas.
Cette marche inquiète
La réalité est que beaucoup s'inquiètent, au delé de cette marche, dont l’unique motif est pourtant de dénoncer l’antisémitisme en pleine recrudescence des actes violents, verbaux ou physiques, contre les juifs. Plus d’un millier d’actes antisémites ont été perpétrés en un mois, selon le ministère de l’Intérieur, soit plus que durant toute l’année 2022. Motif? Évidemment, la guerre déclenchée par l’assaut du Hamas contre Israël le 7 octobre.
Dans la plupart des pays européens, surtout ceux qui, comme la France, ont une importante communauté musulmane, la guerre dans la bande de Gaza a radicalisé les antagonismes. Peut-on combattre l’antisémitisme sans avaliser la politique raciste de l’ex-gouvernement d’extrême droite dirigé par Benjamin Netanyahu, remplacé depuis le début octobre par un cabinet de guerre? Peut-on dénoncer l’antisémitisme en affirmant parallèlement que la cause palestinienne est légitime et que rien ne justifie la tragédie vécue par les deux millions de civils coincés sous les bombes à Gaza?
La France, champ de bataille
La France est sans doute le pays d’Europe où ces questions se posent de la façon la plus frontale. D’abord parce que l’antisémitisme a jalonné l’histoire républicaine, même si les juifs ont été défendus, accueillis, protégés. «Qu’il soit religieux, social, identitaire ou racial, l’antisémitisme est toujours tel que le présentait Émile Zola: odieux» écrit Emmanuel Macron, en citant l’auteur du fameux «J’accuse», le texte qui, le 13 janvier 1898, prit publiquement la défense du capitaine Dreyfus injustement accusé et condamné pour trahison.
Les Juifs ont été, en France, la cible de l’Église catholique, de l’extrême droite nationaliste, et d’une partie de l’extrême gauche. L’héritage de ces fractures est l’attitude de la France Insoumise, le parti de la gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon. Le parti a refusé de marcher ce dimanche, mais s’est mobilisé pour commémorer le souvenir de la rafle du Vél d'Hiv du 16 juillet 1942 – au nom, affirme ce mouvement, de la défense de la paix au Proche-Orient. L'un des arguments avancé par ceux qui ont refusé de manifester est que cette mobilisation aurait du être multiconfessionnelle, destinée à lutter contre toutes les intolérances et à plaider pour la paix plutôt que contre le seul antisémitisme.
Ensuite parce que le pays est, sur le plan de la tolérance mutuelle, un champ de bataille. La laïcité souvent incomprise, mais aussi le fait d'abriter les communautés musulmanes (environ six millions de personnes) et juives (environ 600'000) en font un enjeu décisif en Europe.
«Nation de l’universel»
«Nous sommes la nation de l’universel, a affirmé dans sa tribune Emmanuel Macron, attendu les 15 et 16 novembre en Suisse pour une visite d’État. Je vois donc comme un motif d’espérance les marches contre l’antisémitisme, pour la libération des otages et pour la paix.» Le président français se retrouve dans les faits obligé de slalomer, après avoir apporté initialement un soutien inconditionnel à Israël dans sa riposte. Il a, vendredi 10 novembre, appelé l’État hébreu à un cessez-le-feu dans un entretien à la BBC. Des propos aussitôt fustigés par Benjamin Netanyahu.
L’antisémitisme, à la fois prisonnier des fractures françaises, des fractures israéliennes et de la folie terroriste du Hamas? Le déroulement de la marche de ce dimanche a montré que le message de solidarité est passé. Mais qu'au moment où le siège de Gaza se poursuit, délier la défense des juifs de France de celle d'Israël et de sa politique demeure, dans l'hexagone, un exercice compliqué.