Le Sénat français n’est d’habitude pas un lieu de confrontation et de débats houleux. C’est pourtant ce qui risque de se passer sous la coupole du palais du Luxembourg, où le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin vient présenter ce lundi 6 novembre son nouveau projet de loi sur l’immigration.
Encore un texte législatif? La première réaction devrait être en effet celle de la stupéfaction. La dernière loi consacrée aux questions d’asile et à la gestion des étrangers présents en France ne remonte en effet qu’à septembre 2018, soit il y a tout juste cinq ans. Tout a donc changé depuis cette date? La réponse est non. Le grand choc migratoire des années 2015-2017, sur fond de guerre en Syrie, est plutôt derrière nous-même si les demandes d’asile continuent d’augmenter (131'000 demandes en France).
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Frénésie législative
Alors, pourquoi cette frénésie législative qui, sauf à trouver un accord avec la droite traditionnelle, pourrait bien se terminer à l’Assemblée nationale par un nouveau recours à l’article 49.3 qui permet d’adopter un texte de loi sans vote? La réponse est simple: l’air du temps.
Tous les sondages donnent aujourd’hui en France une avance conséquente au Rassemblement national de Marine Le Pen, désormais en seconde ou troisième position comme personnalité politique préférée des Français! Jadis, l’ex-candidate à la présidentielle était abonnée à une position bien moins enviable: celle de personnalité la plus détestée! Sauf qu’elle a désormais un remplaçant: le leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon. Et que tous ses thèmes de campagne, à commencer par le rejet de l’immigration, sont sur le devant de la scène.
Obstination politique
L’autre raison de l’obstination politique de Gérald Darmanin est de créer l’illusion d’un «donnant-donnant» pour ne pas faire basculer la France dans le camp des pays de plus en plus fermés aux étrangers. Cette illusion porte un nom et se retrouve dans l’article 3 du projet de loi soumis au Sénat: la régularisation des étrangers qui travaillent légalement, mais demeurent clandestins. Une condition pour faire avaliser d’autres mesures comme le durcissement des renvois en cas d’obligation de quitter le territoire français, trop peu exécutés (moins de 10% des étrangers visés ont été renvoyés en 2022).
Problème: ni le premier sujet, ni le second, ne nécessitent un projet de loi nouveau, d’autant que les négociations au niveau européen sur la future législation communautaire sont toujours en cours entre les états membres et le parlement de Strasbourg! En clair: régulariser des travailleurs étrangers qui disposent d’un emploi légal est déjà possible. Renvoyer des clandestins l’est aussi, et Gérald Darmanin se fend d’un tweet à chaque nouvelle expulsion. Alors?
Perdus dans les règlements
La vérité est que la France et les Français sont perdus dans leurs règlements souvent contradictoires en matière d’immigration. Même le gouvernement, les préfets, les maires s’y perdent. Faut-il, dans ce cas, tout remettre à plat? Peut-être. C’est l’un des motifs qui pousse Emmanuel Macron à continuer de laisser courir le bruit d’un éventuel référendum sur le sujet.
Une chose est sûre: ce n’est pas ce débat parlementaire-là, ni ce texte législatif, qui permettra cette refondation de la politique de l’asile, dont chaque soubresaut est davantage dicté par les attentats comme celui survenu à Arras, par les images en provenance de l’île italienne de Lampedusa ou par celles des bateaux lancés à travers la Manche pour rejoindre les côtes anglaises, que par une volonté d’appréhender sereinement des questions telles que les quotas d’étrangers par métiers, le conditionnement des aides à l’acceptation des retours par les pays d’origine, ou l’augmentation de l’aide financière aux retours forcés.
La France dit non aux régularisations parce qu’elle n’en comprend ni la portée, ni les conséquences. Alors que dans la vraie vie, de nombreux employeurs français sont prêts à l’assumer et estiment en avoir besoin.