Certains mots sont des bombes à retardement. Tel est le cas de «combats», en couverture du livre de Jean-Maurice Ripert. L’auteur y raconte, en près de 400 pages, ses engagements au service d’une «diplomatie de combats», centrée sur la défense du multilatéralisme, des Nations unies et des droits de l'homme.
Or aujourd’hui, c’est la diplomatie elle-même qui est devenue «le» combat. Comment défendre une solution de paix négociée à Gaza ou en Ukraine? Comment éviter que les ambassadeurs, dans un monde aspiré par le «clash des civilisations» voulu par les radicaux de tous bords, ne deviennent les messagers du pire: à savoir le refus du dialogue et de la compréhension mutuelle?
Je connais bien Jean-Maurice Ripert, 70 ans, aujourd’hui président de l’organisation Plan International qui parraine des enfants dans le monde entier. Je l’ai d’abord croisé à Genève, où il fut ambassadeur auprès des Nations unies au début des années 2000, après avoir été le conseiller du Premier ministre socialiste Lionel Jospin.
Je l’ai vu s’interroger lorsque, à la suite d'un clash avec le président français Nicolas Sarkozy, il prit la tête de l’ambassade de l’Union européenne en Turquie. Et nous nous retrouvons régulièrement, à Paris, pour discuter des affaires du monde et du délabrement actuel du système international…
Un ami inquiet
J’ai donc lu son livre avec l’appétit d’un ami inquiet. Jean-Maurice Ripert, longtemps très proche de l’ex-ministre français Bernard Kouchner, incarne ce qui semble être la diplomatie d’hier. Celle des années 1980-2010. Celle du «droit d’ingérence» pour défendre les populations assiégées et opprimées. Celles d’un Occident triomphant sur les décombres de la disparition de l’ex-Union soviétique.
On sent, chez l’auteur, ce goût du militantisme à passeport diplomatique. Bien sûr, la raison d’État l’a toujours emporté chez ce diplomate dont le père fut un haut responsable de l’ONU, en charge des questions économiques. Jean-Maurice Ripert, ami personnel de l’ancien président François Hollande, a toujours défendu les intérêts de son pays. Mais il fait partie de ceux que le souverainisme et le nationalisme ont toujours inquiétés. Dans ses deux derniers postes d’ambassadeur, en Russie et en Chine, ses contacts réguliers avec les activistes des droits de l’homme n’ont pas manqué d’irriter les régimes en place, l’isolant de facto dans sa chancellerie.
Génération enterrée
J’ai peur que Jean-Maurice Ripert incarne cette génération de diplomates que les guerres à Gaza et en Ukraine sont en train d’enterrer une seconde fois. Le premier coup de semonce, redoutable, fut la désintégration de l’ex-Yougoslavie et le chaos qui en résulta, dont l’Europe n’est toujours pas complètement sortie. L’on vit alors renaître cette haine qu’on croyait disparue et ces manipulations des puissances, le tout sur fond de tentation dominatrice de l’Occident, emmené par l’OTAN et les États-Unis.
Échec. Les plaies des Balkans ne se sont toujours pas refermées, comme le montrent, ce dimanche 17 décembre, les élections législatives en Serbie.
Puis survint le second tremblement de terre: celui postérieur au 11 septembre 2001. Plus question de négocier avec les Talibans, protecteurs d’Oussama Ben Laden. Le monde devient le théâtre d’une vaste chasse à l’homme. L’ONU est bafouée par les mensonges américains. L’Irak est envahi par une coalition montée par Washington.
Cette question d’interventionnisme militaire se conclut, en 2011, avec le renversement du Colonel Kadhafi en Libye par la France et le Royaume-Uni. Impossible, après cela, de prétendre que la diplomatie des droits de l’homme n’est pas, de facto, à géométrie variable.
Calmes convictions
A tout cela, Jean Maurice Ripert répond calmement par ses convictions. Oui, les interstices d’espoir et de décence existent toujours et partout. Et oui, le travail des diplomates «engagés» est aussi de les débusquer, d’épauler ceux qui se battent sur le terrain, et de servir de relais aux solutions constructives. En témoignent les quelques lignes qu’il consacre à sa mission, pour le compte de l’ONU, au Pakistan, où il rencontre le ministre des droits de l’homme, «logé dans un obscur immeuble à moitié vide».
Les Nations unies ont cette vertu qu’elles sont, souvent, le dernier rempart contre le règne de l’inhumanité: «Et si les Nations unies n’existaient pas, qui prendrait leur place, qui remplirait leurs missions?, interroge l’auteur. Parmi les puissances qui le revendiqueraient figurent des régimes autoritaires, façonnés par le nationalisme, qui prônent le repli sur soi et le rejet de l’autre […] Leur confier les clés de la maison commune, ce serait renoncer aux idéaux de la Charte et de la déclaration universelle des droits de l’homme».
L’âge d’or de la diplomatie
La vérité est que Jean-Maurice Ripert a sans doute vécu l’un des âges d’or de la diplomatie, consécutif à la fin de la guerre froide, lorsque l’URSS sombra. Son livre, toutefois, ne tombe jamais dans l’écueil de la naïveté. Cet ambassadeur de France regarde le monde tel qu’il est, y compris lorsqu’il raconte les manigances de certains pour l’écarter au sein de son propre ministère. L’auteur ne considère pas la diplomatie comme un combat perdu.
L’essentiel, pour lui, est de ne pas perdre ses objectifs et son âme en oubliant que les interlocuteurs de nos pays, surtout s’ils sont Russes ou Chinois, ont en tête l’unique agenda de leurs intérêts et la volonté simultanée d’affaiblir l’Occident. Le combat n’est pas perdu. Mais un diplomate ne peut pas remporter de bataille s’il ne reçoit pas, de la part de ceux qui gouvernement, des consignes claires. Nos démocraties ont besoin d’une «politique de combats». La diplomatie suivra.
A lire: «Diplomatie de combats» par Jean-Maurice Ripert (Ed. Presses de la Cité/Perrin)