Gabriel Attal avait beaucoup à perdre. Le jeune Premier ministre français, aux commandes du gouvernement depuis le 9 janvier, était a priori condamné à jouer en défense lors du débat télévisé qui l’a opposé ce jeudi 23 mai sur France 2 à Jordan Bardella, grand favori des sondages. Or, leur affrontement n’a pas tourné en faveur de ce dernier. Grâce à plusieurs «punchlines» redoutables, Gabriel Attal a renversé la vapeur et mis son adversaire national-populiste le dos au mur. Comment? En l’obligeant à rentrer dans le détail des dossiers. Comme Emmanuel Macron l’a fait, par deux fois, face à Marine Le Pen lors de leurs débats présidentiels…
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«Votre méthode? Être contre tout, puis changer d’avis»
Gabriel Attal l’a répété à plusieurs reprises: le Rassemblement national tape sur toutes les propositions européennes ou presque, mais il ne préconise plus de sortir de l’euro ou de l’Union européenne (UE) comme il le faisait jadis. C’est cette contradiction que le Premier ministre français s’est employé à mettre en évidence. Pour sa défense, Jordan Bardella n’a rien trouvé d’autre que de tancer son adversaire avec des formules comme «Restez élégant» ou «Je suis gêné pour vous». La vérité est néanmoins du côté du poulain d’Emmanuel Macron. Certes, le RN engrange aujourd’hui environ 30% des intentions de vote pour les élections européennes du 9 juin. Mais il le fait sur la base d’une ambiguïté contradictoire avec sa volonté d’être un parti de gouvernement.
«Contrôler tout le monde aux frontières? C’est impossible»
Le Premier ministre Français s’est retrouvé sur la défensive sur la question de l’immigration, cœur de la rhétorique du Rassemblement national. Il a même été sonné par l’affirmation de Jordan Bardella qui l’a accusé de ne pas voir dans l’immigration un problème, mais un projet. Puis est venu le moment de confronter les affirmations du leader du RN aux réalités. Une double frontière, qui interdirait aux détenteurs de cartes de séjour dans un pays de l’UE de circuler dans un autre, comme le propose Jordan Bardella, est-elle crédible et faisable? Non. Gabriel Attal a plusieurs fois cité le demi-million de frontaliers qui se trouveraient bloqués si les contrôles terrestres étaient systématiques. En clair: le RN ne pourra pas mettre en place ses propositions anti-immigrés.
«Votre programme, c’est un banco. On gratte et il n’y a rien»
Bien joué pour la punchline! Le banco, c’est ce jeu disponible dans tous les bureaux de tabac français qui permet, dit la publicité, de gagner jusqu’à 500'000 euros en misant un euro. Le principe est simple: on gratte et on voit si le signe qui apparaît est le bon. Sauf qu’en général, on ne gagne rien. Pour ce Premier ministre issu des beaux quartiers, pur produit de la nomenklatura tricolore, parler de «Banco» est très habile. Cela fait populaire. Cela fait concret. Le message est aussi efficace au sein des personnes âgées, bastion de l’électorat macroniste et fanas des «bancos».
«Heureusement que Madame Le Pen n’a pas été élue»
Il fallait enfoncer une lame entre la candidate du Rassemblement national à la présidentielle et son protégé, que les sondages disent plus populaire qu’elle. C’est fait. Gabriel Attal a confronté Jordan Bardella à ce qui se serait passé si Marine le Pen avait accédé à l’Élysée. L’euro aurait été bousculé. L’Union européenne se serait fissurée. Pas besoin d’en dire plus. Le mal est fait. Une fois encore, le registre du camp Macron et des proeuropéens est le même: miser sur l’incompétence des cadres du RN, sur les aspects impraticables de son programme, et sur les conséquences de celui-ci pour le pays et le portefeuille des Français, s’il était mis en œuvre. Fait intéressant: Jordan Bardella n’a pas contredit vertement son adversaire.
«Vous êtes forts avec les faibles et faible avec les forts»
On se souvient de la remarque assassine d’Emmanuel Macron face à Marine le Pen lors de leur second débat présidentiel, le 21 avril 2022. Le président avait accusé la candidate du RN de voir en Vladimir Poutine, non pas un dirigeant étranger, mais son banquier. Bis repetita cette fois dans d’autres termes. Gabriel Attal a, très sereinement, rappelé les difficultés financières passées du Rassemblement national (sans redire que celles-ci résultaient d’un refus des banques françaises de le financer), et asséné la nouvelle phrase qui tue: «Je ne crois pas que vous soyez russophile. Vous avez avec Poutine une alliance d’intérêts mutuels.» Voilà donc la thèse du RN, parti au service de l’étranger, qui remonte à la surface. Le fait d’être «faible avec les forts» est une allusion directe au refus de Jordan Bardella de voter les résolutions de soutien du Parlement européen à l’opposant russe décédé Alexeï Navalny.
Et la Suisse dans tout ça ?
Elle a été citée par les deux débatteurs. D'abord par Gabriel Attal, rapidement, à propos du demi-million de frontaliers qui ont besoin de la libre-circulation se rendre dans les pays voisins de la France. Ensuite, beaucoup plus longuement, par Jordan Bardella. Ce dernier a loué la politique d'immigration choisie de la Confédération, en oubliant de préciser son appartenance à l'espace Schengen. La Suisse, un modèle pour le RN ? Le premier ministre français a répondu du tac au tac. «Vous dites sans doute cela parce que la Suisse n'est pas membre de l'Union européenne...». Dont acte.