C’est le président TGV. Le Jack Bauer de la politique et de la décolonisation. Emmanuel Macron a choisi de pousser à fond l’accélérateur pour faire accoucher les Calédoniens d’un embryon de solution, après plusieurs journées d’émeutes et de pillages, sur fond de fracture béante entre la population européenne et autochtone dans cet archipel français du Pacifique. A peine arrivé, le voici reparti ce vendredi après avoir juré que «la Nouvelle Calédonie, ce n'est pas le Far West», et promis de «ne pas passer en force» sur la réforme constitutionnelle controversée du corps électoral.
Le Chef de l’État était descendu de son Airbus présidentiel, le «Air Force One» à la française, vers 23h30 mercredi, heure française. Il était alors déjà 8h30 du matin à Nouméa, la capitale de ce territoire d’outre-mer peuplé d’environ 270'000 habitants, dont 120'000 Kanaks. Aucun autre avion sur le tarmac, à l’exception des appareils militaires. Les vols passagers demeurent interdits et l’aéroport est fermé. L'état d'urgence a été décrété le 15 mai par le locataire de l’Élysée, pour une durée de douze jours. Ce qui a permis aux policiers et à l’armée de ramener le calme. Sur fond de destructions matérielles déjà évaluées à un milliard d’euros.
«Territoire non autonome»
Le résultat? Du presque jamais vu dans la République et sur ces terres lointaines, dont l’ONU considère toujours qu’elles sont «un territoire non autonome», c’est-à-dire un territoire dont la population ne s’administre pas encore complètement elle-même. Ce qui a suivi ? 24 heures chrono de contacts et de pourparlers, puisque Emmanuel Macron est reparti dans la soirée de jeudi, heure française. Il doit revenir en France ce samedi, pour repartir ensuite le 27 mai en visite d’État en Allemagne. « J’ai décidé de venir parce qu’il ne faut jamais laisser la violence s’installer » a-t-il justifié.
Le choix de la méthode a aussitôt été très contesté. La Nouvelle-Calédonie, comme tous les territoires du Pacifique, est une terre de dialogue long et de coutumes. Le rythme n’est pas celui de la politique hexagonale où la communication l’emporte souvent. De plus, les Kanaks, qui ont boycotté le troisième référendum sur l’indépendance le 12 décembre 2021, n’ont aucun intérêt à accélérer le processus. Une partie d’entre eux misent sur le départ progressif des «blancs», notamment après les violences survenues ces jours-ci. Une future consultation populaire est désormais à l'ordre du jour: «Ma volonté est que cet accord global soit celui qui intègre notre Constitution (…). Cet accord doit être négocié évidemment par les forces politiques légitimes pour le faire, mais doit aussi associer les maires, les forces vives, en particulier économiques, de la Nouvelle-Calédonie. Mon souhait est aussi que cet accord puisse être soumis au vote des [Néo-]Calédoniens » a poursuivi le président.
Emmanuel Macron était arrivé accompagné de son ministre de l’Intérieur (Gérald Darmanin) et de celui des Armées (Sébastien Lecornu), dans un contexte rendu explosif par les ingérences étrangères. On sait que la Chine lorgne sur l’archipel et ses richesses minières, même si le Nickel, sa première ressource, souffre en ce moment d’un cours très bas. Il est établi que l’Azerbaïdjan, ce lointain pays du Caucase, riche d’énormes ressources en hydrocarbures, fait tout pour déstabiliser le gouvernement français, en prêtant main-forte aux durs du mouvement indépendantiste.
Cyberattaque massive
Une cyberattaque massive menée mercredi 22 mai sur les serveurs informatiques calédoniens, via l’envoi de millions d'emails, pourrait avoir été orchestrée par des hackers russes. Le parallèle avec Jack Bauer, l’agent spécial américain de la série télévisée 24 heures chrono, n’est donc pas exagéré. Emmanuel Macron a tenté de déminer, rassurer, engager et convaincre au fil de ses rencontres au Haut-Commissariat de la République, à Nouméa. La maire de Nouméa, Sonia Lagarde, lui avait expressément demandé de rencontrer la société civile et les milieux économiques. Pour sortir des affrontements politiques.
Le président TGV n’a de son côté pas prononcé les mots qui sont pourtant exigés par la situation. Colonie? Le mot est tabou. Colonial? Ce mot aussi est rejeté. Or l’évidence est là. Deux communautés s’affrontent. La première est composée majoritairement d’Européens arrivés depuis les années soixante sur le territoire. La seconde est composée des Kanaks autochtones, divisés entre des modérés ouverts à une autodétermination dans le giron français et ultras (surtout au sein de la jeunesse) convaincus que les référendums n’aboutiront jamais à l’indépendance car leurs voix sont minoritaires.
Sortir de l’impasse
Le piège est là, exploité par toutes les puissances qui veulent voir la France échouer et abandonner son immense aire maritime de 2,5 millions de km2. Emmanuel Macron veut maintenir à l’agenda la réforme constitutionnelle qui élargit le corps électoral, bien qu’elle ait mis le feu aux poudres lors de son examen à l’Assemblée nationale, qui a adopté le texte mardi 15 mai. Alors, comment sortir de l’impasse?
Ces «24 heures chrono» n’ont rien à voir avec les semaines de négociation à la hussarde à Paris qui permirent, en 1988, d’aboutir aux accords Matignon, remplacé ensuite par les accords de Nouméa en 1998. En 1988, les deux leaders indépendantistes, Jean-Marie Tjibaou et Yewené Yewené, étaient sortis traumatisés de l’attaque par l’unité d’élite du GIGN, le 5 mai 1988, de la grotte d’Ouvéa où des Kanaks détenaient des gendarmes en otages. Ils avaient en face d’eux un leader loyaliste puissant, Jacques Lafleur, propriétaire de la plus grosse usine de Nickel insulaire. La confiance entre ces hommes n’était pas rompue. Ils tenaient leurs camps respectifs. On connaît la suite: signature des accords de Matignon le 26 juin 1988. Puis mort des deux leaders indépendantistes, assassinés le 4 mai 1989 par des Kanaks extrémistes à Ouvéa…
Décoloniser la Nouvelle-Calédonie
24 heures pour décoloniser la Nouvelle-Calédonie: c’est-à-dire pour se frayer un chemin vers ce qui sera, d’une façon ou d’aune autre, une émancipation de la tutelle française. Emmanuel Macron a pris le risque d’une visite caricaturale, à l’issue de laquelle il doit laisser derrière lui une mission de hauts fonctionnaires. Il a promis de faire le point d'ici un mois, laissant la porte ouverte à une nouvelle visite. On connait, il est vrai, le drame de Jack Bauer face aux terroristes. Après chaque affaire réglée surviennent une nouvelle menace et un nouveau coup dur… car la vitesse d'exécution ne règle jamais tout.