Jeu, set et match bientôt perdu pour Amélie Oudéa-Castera, la nouvelle ministre française de l’Éducation nationale devenue le symbole des inégalités sociales et du rejet de l’instruction publique par les élites?
On saura ce mardi 16 janvier, en soirée, si Emmanuel Macron lui maintient sa confiance lors de sa conférence de presse présidentielle. Tout le gouvernement sera alors présent, devant la tribune où s’exprimera le Chef de l’État. Mais pour l’ex-championne de tennis, propulsée le 11 janvier patronne des prés de 850'000 enseignants français, rien ne sera plus comme avant. Désormais, celle qui avait l’habitude des smashs est condamnée à jouer politiquement en fond de court. Au risque de perdre la partie et de mettre en danger son prédécesseur: le nouveau premier ministre Gabriel Attal.
Le culte de l'instruction publique
La métaphore tennistique est justifiée à propos d’Amélie Oudéa-Castera. Si Emmanuel Macron n’avait pas misé sur un électrochoc populaire en nommant son protégé de 34 ans à la tête du gouvernement, cette ex-tenniswoman, gauchère redoutée qui affronta jadis Martina Hingis après avoir été championne du monde des moins de 14 ans, serait restée ministre des Sports et des Jeux Olympiques de 2024. Point.
C’est pour cela que le président français l’a fait venir en 2022, alors qu’elle dirigeait la Fédération française de Tennis. Les deux se connaissent bien. Amélie Oudéa-Castera, 45 ans, est sortie diplômée de l’ex-École nationale d’administration dans la même promotion que lui, en 2004. Or voilà qu’elle est subitement devenue le symbole de ce qui enrage les plus de nombreux Français: l’inégalité sociale. Pire: l’inégalité scolaire dans un pays qui garde le culte de l’instruction publique.
Engrenage et galère
L’engrenage qui a conduit à cette galère politique et personnelle a deux responsables: le calendrier subitement chamboulé par Emmanuel Macron, et l’incapacité de l’ex-championne à comprendre que la politique est une affaire de symboles, pas seulement de performances.
Macron voulait Attal comme premier ministre. Il n’a pas voulu que son chef du gouvernement conserve – comme il l’avait envisagé – son poste de ministre de l’Éducation nationale, où il avait été nommé voici moins de six mois. La parité hommes-femmes au sein du gouvernement devait aussi être respectée.
Alors tant pis pour les JO, sur lesquels Amélie Oudéa-Castera veillait au grain. Et ce, sans transition et sans explications sur la différence fondamentale entre les deux postes: les Jeux Olympiques sont une performance ponctuelle, alors que l’Éducation nationale est un pilier de l’État et du pays.
Attal en est conscient
Il suffit de regarder le visage de Gabriel Attal lorsqu’elle s’est exprimée devant les médias pour comprendre que la nouvelle ministre de l’Éducation aura un mal fou à retrouver une crédibilité. Car elle a menti. Ce n’est pas l’absentéisme des profs dans les écoles publiques qui l’a poussé à déplacer ses chérubins dans une école catholique de renom. C’est le réflexe de caste. Tout simplement.
Cette championne de tennis, considérée un temps comme la «bête noire» de la résidente genevoise Amélie Mauresmo, est la fille de deux cadres supérieurs. Elle a des liens familiaux avec des journalistes de renom de la télévision. Son passage dans les écoles publiques s’est fait pour l’essentiel au grand lycée parisien Victor Duruy, voisin de l’Ambassade de Suisse et des Invalides.
Comme le nouveau premier ministre Gabriel Attal, sa vie a toujours tourné autour de deux ou trois arrondissements de la capitale. Son mari, Frédéric Oudéa, a été patron de la banque Société Générale. La noblesse d’État à la française, dans toute sa splendeur.
A son aise avec les sportifs
Amélie Oudéa-Castera était à son aise avec les champions sportifs, avec le comité Olympique, avec les sponsors qui font pleuvoir leur argent sur les JO. Elle avait réussi à «faire le ménage» dans l’organisation des Jeux, comme elle l’avait fait à la Fédération de tennis. Rien à voir avec les profs.
Rappelons juste ce que nous avons écrit dans Blick: mal payés, mal considérés, voire désignés à la vindicte des familles, les enseignants français sont mal en point. Ils ne sont plus ces «hussards noirs» de la cause républicaine qui fabriquèrent jadis la France moderne. Il faut leur redonner confiance. Les aider. Les valoriser. Leur donner les moyens d’enseigner. Or là, Amélie Oudéa-Castera a raté son échange au fond de court. Elle n’a pas renvoyé les bonnes balles.
Marquer des points ne suffit pas
La guerre scolaire veut dire quelque chose en France. Elle a opposé, dans les années 80, les partisans de l’École publique contre ceux de l’enseignement privé, sous le premier septennat de François Mitterrand. Elle mobilise aujourd’hui contre le gouvernement tous ceux qui, surtout à gauche, estiment le débat biaisé parce que les établissements publics sont de toute façon désertés par les riches.
Ce ne sont pas les moyens qui manquent pour les infrastructures: lycées ou collèges. C’est tout le reste, surtout dans les grandes métropoles, qui pose problème, à commencer par les ressources humaines. L’école publique reflète la société, avec son lot de violences et d’incivilités. Avec les difficultés de recrutements des profs. Avec la baisse de niveau problématique. Les écoles privées, confessionnelles ou non, sont perçues par les parents comme un refuge pour leurs enfants.
Amélie Oudéa-Castéra a voulu protéger ses garçons comme tant d’autres parents français. Sans comprendre que son ministère, colonne vertébrale du récit républicain, n’est pas un court de tennis. Il ne suffit pas de marquer des points pour gagner le match. Il faut aussi donner confiance et inspirer le respect, pour imposer plus de discipline et de rigueur. Tout ce qu’elle vient de rater, pour être montée bien imprudemment au filet.