La justice française vient d’inventer un nouveau délit: taper sur une casserole, sur une poêle à frire, ou sur un bidon. Enfin presque: s’il n’est pas déclaré hors la loi par les magistrats ce jeudi 27 avril, comme cela a été le cas mardi à Vendôme (Loir-et-Cher), l’arrêté préfectoral pris dans le Doubs pour interdire «tout dispositif sonore portatif» aux abords de la visite prévue d’Emmanuel Macron causera un préoccupant précédent.
Interdit, donc, au pays de Voltaire, d’exprimer sa colère par des «bangs bangs» bruyants au sein d’un «périmètre de sécurité», sur le chemin d’un chef de l’État qui, pourtant, tire sa légitimité du vote populaire? L’ancien avocat Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice depuis 2020, risque d’avoir du pain sur planche pour justifier ce ramdam judiciaire. Alors que, pour le défilé du 1er mai, des milliers de protestataires se préparent à déballer leurs ustensiles de cuisine les plus variés pour faire le maximum de bruit.
Une visite pour commémorer l’abolition de l’esclavage
Le plus paradoxal est le motif de la visite dans le Doubs, à proximité du Jura suisse, de la visite présidentielle. C’est au héros antiesclavagiste Toussaint Louverture, libérateur d’Haïti (1743-1803) que le Chef de l’État vient rendre hommage, pour commémorer l’abolition de l’esclavage. Ce combattant de génie fut interné ici, au château de Joux, par un Empereur Français nommé Napoléon 1er. Le raccourci historique fait donc très mal. Macron, souvent comparé à Bonaparte pour son goût des assauts politiques, se retrouve pris au piège des «casserolades» sur une terre synonyme d’oppression pour le peuple haïtien. De quoi donner des arguments aux opposants à la réforme des retraites, prompts à se présenter comme les «nouveaux esclaves» bâillonnés par le pouvoir. Et ce, au début des «cent jours» décrétés par le président pour apaiser et relancer le pays, référence napoléonienne discutable là aussi.
Taper. Faire du bruit. Empêcher les «puissants» de se faire entendre. Les casseroles françaises ne retentiront peut-être pas dans le Doubs où le préfet a décidé «d’interdire les rassemblements festifs à caractère musical» le temps de la visite présidentielle. A condition que les policiers dépouillent aussi les manifestants attendus de leurs téléphones portables. Car à défaut d’avoir une casserole, les protestataires ont préparé un autre concert métallique. Vanté par l’une des égéries des manifestations, Mathilde Caillard, techno activiste reconnue pour ses pas de danse sur les défilés, un site internet permet de remplacer le «bang bang» de cuisine. Sur le site macasserole.fr, n’importe qui peut électroniquement reproduire le bruit métallique. Dur dur pour les juges. A moins bien sûr que la préfecture brouille les liaisons téléphoniques et internet sur la zone concernée.
Un symbole difficile à évacuer
Les casseroles sont en plus un symbole difficile à évacuer pour Emmanuel Macron, qui promet de retourner sur le terrain pour y affronter la colère de ses compatriotes. Ces révoltes bruyantes, dont certaines avaient déjà lieu au Moyen-Âge, tirent plus récemment leur origine des premières manifestations contre François Guizot, alors ministre et confident du roi Louis Philippe, en 1841. A l’origine de ces casserolades anciennes? Un impôt sur les portes et fenêtres! La France avait, déjà, besoin d’argent. L’État royal dépensait trop. La révolte fiscale de l’époque passe donc par les femmes et leurs cuisines. On tape. On fait du bruit. On empêche le ministre Guizot et le vieux maréchal Soult, président du Conseil (après avoir trahi Napoléon vingt ans plus tôt) de défendre cette taxe.
Le Doubs, nouveau front de la contestation, quelques jours avant la manifestation des syndicats unis le 1er mai à travers la France? Là aussi, les symboles seront douloureux pour le président Français: le dernier défilé syndical uni fut celui du 1er mai 1936. En plein «front populaire»!