La France n’est plus gouvernée. En écrivant les choses comme cela, ses voisins dont la Suisse ont quelques raisons de prendre peur, alors que la nouvelle Assemblée nationale tout juste élue ouvre sa législature en session extraordinaire ce jeudi 18 juillet, pour deux semaines. Est-ce bien sérieux de laisser un pays si centralisé sans gouvernement, à quelques jours des Jeux Olympiques et paralympiques qui vont drainer vers Paris des millions de visiteurs étrangers, jusqu’à la mi-septembre? Sans parler de l’habituelle rentrée politique, à la fin août, lorsque les partis tiennent leurs universités d’été et affinent leurs stratégies…
La France n’est plus gouvernée, vraiment? Oui, si l’on parle d’un gouvernement capable d’aller défendre des projets de lois devant le Parlement, et en particulier devant l’assemblée de 577 députés fracturée comme jamais en trois blocs: droite radicale, bloc central et gauche. En acceptant mardi la démission du Premier ministre Gabriel Attal et de ses ministres, Emmanuel Macron a tiré la conclusion de l’absence de majorité parlementaire. Il a placé le pays en «affaires courantes». En clair: tous les ministres sont démissionnaires. Ceux qui ont été élus peuvent siéger comme députés. Ils ne restent officiellement à leurs postes que pour prendre les décisions administratives qui s’imposent au jour le jour. Ils peuvent aussi représenter la République à l’étranger, mais uniquement de façon protocolaire.
Haute fonction publique
C’est la haute fonction publique qui règne en maître dans les couloirs des ministères. Avec, au sommet de l’État, un président qui est, lui, toujours en fonction et habilité à prendre toutes les décisions permises par la constitution. Au fond, Emmanuel Macron se retrouve seul aux commandes de la France, fort de son mandat qui court jusqu’en mai 2027. Ce qui, ironie des circonstances liées à sa dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin puis aux législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet, correspond à son tempérament. Pour dire les choses: si cette situation dure, dans un pays qui n’a pas de tradition parlementaire et qui n’a pas l’habitude de fonctionner ainsi, cet imbroglio constitutionnel pourrait vite devenir un handicap. Surtout si une crise survient…
La France n’est plus gouvernée, et que peuvent en déduire ses voisins, dont la Confédération? D’abord que tous les projets bilatéraux en cours, inévitablement, vont subir des retards. Rien de changé. Mais tout est à l’arrêt. Certes, beaucoup de choses se décident, pour les sujets frontaliers, au niveau des préfets des départements voisins. Ce sont eux qui représentent l’État. Dans des domaines spécifiques, comme les transports régionaux, cela tombe sous les compétences des régions frontalières comme Rhone-Alpes-Auvergne, Bourgogne-Franche-Comté ou Grand Est (qui inclut l’Alsace).
Paris, épicentre de la République
Sauf qu’en France, contrairement à ce qui se passe en Suisse, tout doit remonter à Paris. La plupart du temps, c’est le président de la République lui-même qui s’en mêle, comme en témoigne la liste des projets soumis, chaque année, par le président de la Confédération à son homologue de l’Élysée, lorsqu'il se rend pour sa visite rituelle dans la capitale française à l’automne. Puis l’Élysée «fait descendre» les consignes à Matignon, le siège du Premier ministre, véritable poste de commande de l’administration française… Or là, les commandes sont gelées.
La France n’est plus gouvernée, alors, que va-t-il se passer? Concrètement, trois faits majeurs sont à surveiller de près par tous ses partenaires.
Le casting
Tout va dépendre des discussions en cours pour la nomination d’un Premier ministre. L’alliance de gauche, le Nouveau Front Populaire (NFP), revendique de former le nouveau gouvernement car elle est arrivée en tête avec près de 180 députés (contre 160 pour la coalition macroniste et environ autant pour le Rassemblement national et ses alliés). Attention: rien n’oblige Emmanuel Macron à nommer le candidat qui lui sera proposé, si la gauche parvient à s’entendre, ce qui est loin d’être le cas depuis le 7 juillet. Mais au cas où cela arriverait, la Suisse serait impactée. L’inquiétude est de mise sur les politiques économiques et fiscales envisagée par le NFP. Pas impossible que pas mal de Français fortunés se remettent à regarder du côté de l’Helvétie… L’élection à la présidence de l’Assemblée nationale, ce jeudi 18 juillet, va révéler les rapports de force.
Le calendrier
Les délégations suisses vont se succéder à paris durant les Jeux Olympiques et paralympiques. Le sport sera le sujet principal. L’ambassade helvétique à Paris sera transformée en village suisse. Or plus de trente chefs d’État ou de gouvernement sont attendus sur les rives de la Seine pour la cérémonie d’ouverture le 26 juillet. Si la France est en «affaires courantes», les opportunités diplomatiques seront moindres. En revanche, si un nouveau Premier ministre d’une nouvelle majorité est déjà nommé, la prise de contact sera très utile. Il n’est pas nécessaire, en France, que le chef du gouvernement demande la confiance de l’assemblée avant d’entrer en fonction. Difficile en revanche d'imaginer un gouvernement encore en «affaires courantes» en septembre, pour le prochain débat budgétaire. Même s'il est possible, à minima et en théorie, de reconduire le budget de l'année précédente.
La crise politique
Elle est patente. Emmanuel Macron a perdu son pari politique. Il espérait, avec la dissolution de l’assemblée, forcer les électeurs à choisir, et voir son camp centriste sortir vainqueur. La clarification a été celle de la division et de la polarisation du pays. Il est possible néanmoins que le président nomme un Premier ministre de son camp politique, en le chargeant de trouver une majorité. Mais cela peut conduire à une période d’incertitude et d’instabilité. L’hypothèse d’une rentrée sociale agitée si la gauche ne gouverne pas est aussi réelle. Les milieux économiques s’en inquiètent. Les investisseurs étrangers, dont les Suisses, n’aiment pas voir ce pays éruptif qu’est la France entrer dans une zone de turbulences.
La France n’est plus gouvernée? Oui et non. Mais tous ses voisins ont raison de s’interroger (voire de s’inquiéter) sur ce qui peut se passer dans les trois ans à venir.