Que peut aujourd’hui obtenir Volodymyr Zelensky pour accepter de s’asseoir à la table de négociations avec un Vladimir Poutine qui ne renoncera pas à ses conquêtes territoriales, acquises depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février 2022? L’ancien secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg a lâché une proposition choc dans le Financial Times, alors que le président ukrainien a entamé jeudi à Paris une tournée européenne. Selon Stoltenberg, il est envisageable qu’une partie du territoire national de l’Ukraine intègre l’OTAN! Les garanties de sécurité de l’alliance ne s’appliqueraient alors qu’à cette partie du pays, comme ce fut le cas pour la RFA (Allemagne de l’Ouest) lors de son entrée dans l’OTAN en 1955.
La question de l’agenda de possibles négociations devait être au cœur du sommet prévu ce samedi 12 octobre en Allemagne, sur la base militaire de Ramstein, où se trouve le principal QG de l’OTAN pour l’approvisionnement de Kiev en armes occidentales.
Mais l’ouragan Milton en Floride est passé par là. Joe Biden a dû reporter sa venue. Le président ukrainien devra donc se contenter d’un nouvel inventaire des promesses européennes. D’abord à Paris où il a passé ce jeudi 10 octobre. Puis à Rome et en Allemagne.
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La question de pourparlers diplomatiques n’en demeure pas moins à l’agenda. Et la Turquie semble bien positionnée pour jouer un rôle crucial dans ces futures discussions. «L’Ukraine souhaite organiser un nouveau sommet de paix d’ici la fin de l’année et souhaite que la Russie y participe cette fois-ci, a réitéré mercredi 9 octobre son ambassadeur à Ankara, tout en excluant «des discussions bilatérales directes avec Moscou lors de la réunion». Il faudra donc une puissance invitante.
Et un médiateur. La Suisse, qui a voulu jouer ce double rôle avec la conférence du Bürgenstock en juin, ne parait plus en position d’intercéder entre les deux belligérants. La France, qui organise les 11 et 12 novembre son «Paris Peace Summit» annuel, a plusieurs fois laissé entendre que cette réunion pourrait aborder la question ukrainienne. Mais c’est, pour le moment, le président Turc Recep Tayip Erdogan qui paraît tenir la corde.
Trump a un plan
Reste à avoir de quoi l’Ukraine accepterait de parler. Et surtout qui, au nom des États-Unis, prendra la parole et validera ou non ces propositions ukrainiennes. L’élection présidentielle américaine aura lieu le 5 novembre. Donald Trump n’arrête pas de répéter qu’il réglera le conflit entre l’Ukraine et la Russie «en 24 heures» s’il est élu, avant même d’être officiellement investi au début janvier.
Il est même allé plus loin en affirmant: «J’ai un plan très précis pour arrêter l’Ukraine et la Russie. Et j’ai une certaine idée, peut-être pas un plan, mais une idée pour la Chine.» Tout en nuançant aussitôt: «Je ne peux pas vous donner ces plans parce que si je vous les donne, je ne pourrai pas les utiliser. Ils n’aboutiront pas. C’est en partie une question de surprise.»
Une zone démilitarisée
Alors, quelle surprise? Le candidat républicain à la vice-présidence des Etats-Unis J.D. Vance, a un peu détaillé. «La ligne de démarcation actuelle entre la Russie et l’Ukraine deviendra probablement une zone démilitarisée lourdement fortifiée afin que les Russes ne l’envahissent pas à nouveau», a-t-il déclaré au Shawn Ryan Show.
Il s’agirait donc d’un scénario similaire à celui qui mit fin à la guerre de Corée, en juillet 1953. Qui gardera cette zone, protégée dans la péninsule coréenne par plusieurs dizaines de milliers de soldats américains? J.D. Vance n’a pas précisé. «L’Ukraine conservera sa souveraineté indépendante, la Russie obtient la garantie de neutralité de la part de l’Ukraine – elle ne rejoint pas l’OTAN, elle ne rejoint pas certaines de ces institutions alliées. C’est à cela que l’accord va ressembler en fin de compte», s’est-il contenté de préciser.
Les Européens, dans quel rôle?
Or voilà que Jens Stoltenberg suggère un peu près la même chose: d’abord pérenniser une partition, puis donner à l’Ukraine des garanties de sécurité. Ce que Valeri Tchaly, ancien ambassadeur d’Ukraine aux Etats-Unis, a aussitôt dénoncé: «On nous parle de la partition de l’Allemagne. Mais ce n’est absolument pas la même chose. … » a-t-il réagi. L’Allemagne a été d’abord divisée, et la question des garanties de sécurité pour la République fédérale et Berlin-Ouest a été réglée par la suite. Dans le cas de l’Ukraine, c’est tout le contraire: un compromis couperait le pays en deux. Peut-être pour toujours.»
D’où l’importance des Européens. Que peuvent-ils, eux, proposer à Volodymyr Zelensky pour qu’il envisage de renoncer – ce qui est de facto devenu incontournable, compte tenu du rapport de force et de la pression écrasante sur l’armée ukrainienne – à récupérer les parties de son pays contrôlées par l’armée Russe, où celle-ci poursuit inexorablement son avance?
Selon des diplomates et des observateurs contactés par Blick mercredi 9 octobre, alors qu’Emmanuel Macron inspectait une base française où une brigade ukrainienne de 2400 soldats est actuellement entraînée, trois sujets sont sur la table et devaient être évoqués à Rammstein, où le secrétaire américain à la Défense sera présent.
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. Premier sujet: La couverture aérienne de l’Ukraine et sa défense contre les frappes russes, via des batteries antimissiles. Cet aspect est la clé d’un redémarrage possible de l’économie du pays. Volodymyr Zelensky a plusieurs fois déploré que l’effort occidental dans ce domaine est à des années-lumière, en Ukraine, de ce qui se passe en Israël avec le «dôme de fer». Une augmentation très sensible de la capacité antiaérienne ukrainienne, notamment pour protéger les grandes villes, serait donc un argument de poids pour inciter le président ukrainien à entamer des discussions.
. Second sujet: L’intégration sur mesure à l’OTAN. Il existe déjà, de facto. L’acheminement des armes alliées est coordonnée par la plate-forme de Ramstein intitulée «Groupe de contact pour la défense de l’Ukraine», fort de 50 pays membres. L’Alliance atlantique pourrait aller plus loin comme le suggère Stoltenberg, ce qui entraînerait le déploiement de troupes de l'OTAN le long d’une future zone démilitarisée. Il en va aussi de la sécurité du ciel Ukrainien, qui pourrait être patrouillé par des avions de l’OTAN, comme c’est le cas pour la police de l’air dans les pays Baltes, qui n’ont pas d’aviation.
. Troisième sujet: L’aide économique massive. La reconstruction de l’Ukraine, si un cessez-le-feu durable est instauré, coûtera très cher mais elle peut aussi être une opportunité pour de nombreuses entreprises européennes. Point important: les pays frugaux de l’Union (Pays-Bas, pays nordiques) qui rechignent à accepter un nouvel emprunt communautaire pour financer l’investissement dans les 27, auront beaucoup plus de mal à refuser d’emprunter pour remettre l’Ukraine sur pied.
Il s’agit là de pistes théoriques, qui devront s’adapter à la réalité sur le terrain et au climat politique intérieur en Ukraine où Volodymyr Zelensky devra expliquer à ses compatriotes l’abandon de facto des territoires perdus. La Turquie, on le sait, peut de son côté apporter des garanties de sécurité sur la mer Noire dont elle contrôle les détroits. Point personnel, mais à retenir: la rencontre de Ramstein sera la première sortie internationale du nouveau patron de l’OTAN, l’ancien Premier ministre néerlandais Mark Rutte qui vient de remplacer le Norvégien Jens Stoltenberg.
La Russie dit encore non
Point décisif: la Russie refuse toujours, pour l’heure, un quelconque «nouveau sommet de la paix» qui suivrait celui du Bürgenstock. «Ce processus n’a rien à voir avec un règlement», a déclaré fin septembre le Ministère russe des Affaires étrangères «Il s’agit d’une nouvelle manifestation de la fraude des Anglo-Saxons et de leurs marionnettes ukrainiennes. Seule base pour Moscou: «Des propositions vraiment sérieuses» qui tiennent compte de la «situation sur le terrain». En clair: de l’annexion définitive par la Russie des territoires conquis. Il ne faut donc pas s'attendre à une quelconque présence russe lors du sommet pour la paix qu'organisera l'Italie en juillet prochain, comme vient de l'annoncer Giorgia Meloni.
A lire: l'article trés complet sur l'avenir de Ukraine et le soutien de ses alliés par Gilles Grin, de la Fondation Jean Monnet à Lausanne