Xi Jinping prépare le terrain
Cette base navale prouve que la Chine se prépare à la guerre

Une guerre commerciale ? Bien plus que ça. C'est une guerre tout court que la Chine prépare aujourd'hui, convaincue que les Etats-Unis ne lui laisseront pas le choix. La preuve? La tournée asiatique de Xi Jinping.
Publié: 05:34 heures
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Le Président chinois Xi Jinping a entamé sa tournée asiatique par le Vietnam.
Photo: imago/Xinhua
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Richard WerlyJournaliste Blick

Le destin du monde se jouera peut-être sur la base navale cambodgienne de Ream. Vous ne connaissez pas ce nom? Alors, regardez sur une carte. Nous sommes au sud du Cambodge, tout au bout de la péninsule indochinoise. La ville la plus proche est la métropole portuaire et balnéaire de Sihanoukville. A quelques kilomètres, un périmètre ceinturé de clôtures est inaccessible pour les visiteurs. Ream, face à l’île de Koh Ta Kiev, est l’un des futurs points d’appui de la marine chinoise pour projeter ses navires vers l’Océan Indien.

Pourquoi parler de la base de Ream, alors que l’attention médiatique internationale se focalise sur la guerre commerciale entre Pékin et Washington, et sur l’annonce de la suspension par la Chine de toutes les livraisons d’appareils américains Boeing aux compagnies aériennes de l’Empire du Milieu? 

Parce que le Royaume du Cambodge attend, ces jours-ci, le Président chinois Xi Jinping, qui vient d’achever une visite au Vietnam, suivie d’une escale en Malaisie. Et parce que les relations sino-cambodgiennes en disent bien plus long que beaucoup d’analyses sur la manière dont Pékin a anticipé le bras de fer enclenché par les annonces douanières de Donald Trump.

Retournement d’alliances

La Chine et l’Asie du Sud-Est. Sur le papier, et au regard des relations historiques entre Pékin et ses voisins méridionaux, la donne n’est pas si favorable à la seconde puissance économique mondiale. Le Vietnam, où Xi Jinping a effectué trois visites en deux ans, est un ennemi héréditaire de cet Empire qui, plusieurs fois, a tenté (en vain) de l’asservir. La Malaisie, où la minorité d’origine chinoise est dominée par la majorité malaise musulmane, n’est a priori pas non plus un allié solide.

Quant au Cambodge, où la Chine a considérablement investi – y compris via les triades, les puissantes organisations criminelles qui tiennent les casinos et les usines de hackers qui ont proliféré dans le pays – le souvenir de la domination chinoise résonne avec des accents tragiques. Et pour cause: il y a 50 ans, le 17 avril 1975, les guérilleros Khmers rouges d’inspiration maoïste, soutenus par Pékin, y prenaient le pouvoir avant de perpétrer un génocide qui causa la mort, au fils des famines et des purges, de près de deux millions de personnes.

Promesses d’infrastructures

C’est pourtant sur ce front sud, au cœur de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) forte de dix pays membres et d’un marché de 600 millions d’habitants, que Xi Jinping a décidé de répliquer politiquement à l’offensive de Trump. Au menu? Des promesses réitérées d’infrastructures, tel le chemin de fer qui relie déjà le Yunnan au Laos, et dont la Thaïlande vient d’approuver la prolongation jusqu’à Bangkok. 

Avec, en prime, un projet géant qui changerait radicalement la donne du commerce mondial. En effet, le percement de l’isthme thaïlandais de Kra, permettrait aux exportations et aux importations chinoises de court-circuiter le détroit de Malacca, au large de Singapour, cette place forte financière très liée aux Etats-Unis.

Le projet, pour le moment, n’est pas d’y percer un canal, comme cela a souvent été évoqué. Pas question pour le Royaume de Thaïlande d’accepter de diviser son territoire, et de risquer la sécession de ses provinces sudistes à majorité musulmane. L’idée est de construire une autoroute dédiée aux convois de marchandises, entre la mer d’Andaman et le Golfe de Siam.

Les plans sont prêts

Des plans sont déjà à l’étude, attisant aussi l’appétit de l’Inde voisine. Cette future voie routière et aérienne pourrait même surplomber les terres, pour éviter de coûteuses et délicates expropriations. 

Aux manettes? Des entreprises chinoises dont la base arrière logistique serait, justement, le complexe naval cambodgien de Ream. 128 kilomètres de long. Le tout, gardé par les derniers-nés de la marine populaire comme le Hainan, un porte-hélicoptères d’assaut de 232 mètres de long et 36 000 tonnes entré en service en 2021 et stationné à Hong-Kong à la fin 2024.

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Qui parle de conflit entre la Chine et les Etats-Unis pensent bien sûr à Taiwan. Or la clé de cette future confrontation, largement navale, se trouve aussi en Asie du Sud-Est. Contrairement au détroit de Malacca, qui passe entre l’Indonésie, la Malaisie et Singapour, la future autoroute de l’isthme de Kra permettrait à la Chine un accès direct aux ressources naturelles de Birmanie, dont elle contrôle déjà, par groupes rebelles interposés, une partie des territoires proche du Triangle d’Or.

Blocus de Taïwan

Les conditions d’un blocus économique de Taïwan seraient alors renforcées, tant il est peu probable que Washington obtienne le soutien de la Thaïlande, frappée par une hausse des taxes douanières de 36%. La preuve: le renvoi récent vers la Chine de dissidents ouïgours réfugiés à Bangkok depuis dix ans. Un renvoi qui a entraîné des protestations américaines.

Donald Trump manie l’arme des droits de douane, persuadé qu’elle lui permettra de terrasser le dragon chinois. Xi Jinping, lui, préfère apprivoiser les tigres d’Asie du Sud-Est, à l’exception de l’archipel des Philippines, ex-colonie américaine conquise en 1898 par le Président dont Trump a fait son modèle: William McKinley (1843-1901). 

Car une guerre, à cette échelle, ne se gagnera qu’avec de solides alliés. Ce que la Maison Blanche, en train de se mettre à dos le monde entier, semble avoir ces jours-ci le plus grand mal à comprendre.

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