Séquence européenne pour Joe Biden, avant que les 360 millions d’électeurs des 27 pays membres de l’Union se rendent aux urnes ce dimanche 9 juin. L’agenda diplomatique et historique présente parfois d’étonnantes coïncidences. Officiellement, le président américain vient en France pour commémorer le 80e anniversaire du D-Day, le débarquement allié en Normandie du 6 juin 1944. Dans les faits, sa présence sur le Vieux Continent puis sa visite d’État en France, le 8 juin, seront aussi un test de l’influence des États-Unis, alors que la guerre en Ukraine fait toujours rage et que Volodymyr Zelensky sera l’un des dirigeants présents, ce jeudi, aux cérémonies normandes, avant de prendre la parole, vendredi, devant l’Assemblée nationale à Paris.
A lire sur les élections européennes
Biden, patron de la sécurité européenne à travers l’OTAN, cette Alliance Atlantique qui tiendra le sommet de son 75e anniversaire à Washington à la mi-juillet? Biden, patron des pays les plus riches et du «monde libre» au sommet du G7 dans les Pouilles (Italie) les 14 et 15 juin? Le raccourci est facile, même si le président américain manquera l’étape la plus pacifique: celle du sommet suisse pour la paix du Bürgenstok (15 et 16 juin), où son pays sera représenté par la vice-présidente Kamala Harris.
Mais attention, les élections européennes pourraient bien, en fonction de ce qui sortira des urnes, représenter aussi un défi pour l’Amérique en campagne présidentielle. Et cela dépendra, selon l'hebdomadaire britannique «The Economist», des oppositions et des alliances entre trois femmes: Giorgia Meloni, Marine Le Pen et Ursula von der Leyen.
Meloni, l’égérie pro-OTAN
Giorgia Meloni d’abord. La Première ministre italienne, tête de liste de son parti Fratelli d'Italia aux élections européennes, n’a bien sûr pas l’intention d’abandonner le palais Chigi à Rome, pour le Parlement européen à Strasbourg et Bruxelles. Elle n’y siégera donc pas. Pourquoi est-elle si importante? Parce qu’elle est, parmi les dirigeants de parti nationalistes et souverainistes, bref, à l’extrême droite, la seule à camper depuis le début sur une ligne résolument pro-Américaine et pro-Ukraine!
Giorgia est en somme la meilleure alliée de Joe, alors que son ministre et rival Matteo Salvini, de la Lega, a longtemps défendu Vladimir Poutine. Si elle sort renforcée du scrutin du 9 juin, à la fois face à ses opposants de gauche et face à la faction pro-russe de l’extrême-droite italienne, Meloni deviendra indispensable pour les États-Unis. Plus qu’une alliée: un pivot dans la politique américaine sur le Vieux Continent.
Le Pen et l’ombre de la Russie
Marine le Pen ensuite. Pourquoi parler de la cheffe du groupe parlementaire du Rassemblement national alors que la tête de liste de son parti est le jeune Jordan Bardella? Parce que Le Pen tire les ficelles en coulisses et qu’elle ne supporte pas Giorgia Meloni. Plus intéressant encore: Marine Le Pen a longtemps campé sur une ligne très anti-OTAN, et elle réclame toujours la sortie de la France de cette alliance.
L’un des candidats bien placés sur la liste du RN pour les européennes du 9 juin, Thierry Mariani, eurodéputé sortant, est par ailleurs bien connu pour ses liens étroits avec la Russie et avec des régimes soutenus par Moscou comme celui de Bashar el-Assad en Syrie. On sait aussi que Marine Le Pen a bénéficié un temps, pour son parti, de fonds prêtés par une banque russe (les banques françaises refusaient alors de financer le RN). En résumé: Le Pen est un clou planté dans la chaussure européenne de Joe Biden. Elle n’est pas dans une logique atlantiste. Sa priorité est de détricoter l’Europe et son parti ne cesse de se mobiliser contre l’éventuel envoi de soldats français comme instructeurs en Ukraine, scénario évoqué par Emmanuel Macron. Lequel pourrait en reparler lors de son intervention télévisée au soir du 6 juin.
Nouveau mandat pour VDL?
Et Ursula von der Leyen? La présidente allemande de la Commission européenne, longtemps ministre de la Défense et politicienne influente de son parti conservateur CDU, est une pièce maîtresse du dispositif proaméricain en Europe. VDL, comme on la surnomme, est une atlantiste qui ne se cache pas. Elle représente cette génération de politiciens allemands qui ont délégué l’intégralité de la sécurité de leur pays à l’OTAN. On a même, un moment, évoqué son nom pour diriger l’Organisation du traité de l'Atlantique nord, lorsque le Norvégien Jens Stoltenberg quittera ses fonctions en juillet.
Or Von der Leyen courtise aujourd’hui Giorgia Meloni, qu’elle espère voir rejoindre les conservateurs européens, ou du moins soutenir sa candidature à un second mandat à la tête de la Commission. Elle avait aussi démontré, en proposant de recruter une économiste en cheffe américaine pour les questions cruciales de concurrence, sa bienveillance pro-Washington. Jusqu’où ira-t-elle pour se faire réélire? Peut-elle prendre le risque d’une politique de puissance européenne plus affirmée, comme celle souhaitée par Emmanuel Macron?
Trois femmes fortes
Joe Biden a trois femmes européennes fortes et influentes devant lui. Leur agenda et leurs décisions structureront les prochaines années, après les élections de ce dimanche 9 juin que le président américain vivra presque en direct, puisqu’il quittera Paris le 8 au soir. Commémorer le débarquement, et les sacrifices des États-Unis pour l’Europe dans ce contexte est donc tout sauf innocent et dépourvu de conséquences…