À en croire les experts, l'Europe pourrait bien se trouver en guerre avec la Russie en 2024. Le ministre allemand de la Défense Boris Pistorius et le ministre suédois de la Défense civile Carl-Oskar Bohlin sont également du même avis: l'Europe doit se préparer contre une potentielle escalade.
En Russie aussi, la guerre contre l'Occident est sur toutes les lèvres. Dans les émissions télévisées d'Etat, des porte-parole de choix ont multiplié les appels à l'escalade en Ukraine et à l'Ouest ces dernières semaines. Mais toutes ces déclarations ne sont-elles pas juste de la propagande bon marché?
À en voir certaines interventions médiatiques, tout laisse à penser que c'est le cas. Le député de la Douma Alexeï Chouravliov a notamment déclaré dans le talk-show «60 minutes» de la chaîne publique russe Rossiya 1: «Alors, allez-y! Êtes-vous prêts à mener un tas de guerres? Allez-y, chers Occidentaux!»
Dans le talk-show «Mesto Vstretschi» sur NTV, les propos pour la guerre en Occident ont aussi leur place: «Quel est l'intérêt s'il n'y a pas d'escalade?» demande le professeur de politique étrangère américaine en Russie Geworg Mirsajan. Mais que valent vraiment ces menaces?
Narratif principal: l'Occident est méchant
Gulnaz Partschefeld, ex-présentatrice de la télévision d'Etat russe, explique ce qui se cache derrière cette rhétorique. Elle se décrit elle-même comme une Tatare (ndlr: les Tatars sont un peuple turc vivant en Crimée). La conférencière a travaillé comme présentatrice du journal télévisé pour la société nationale de télévision et de radio de Russie jusqu'en 2006. L'ex-journaliste connaît bien l'appareil de propagande de Poutine de l'intérieur. Elle sait exactement comment fonctionnent ces émissions et quel est leur objectif. Depuis 2008, elle vit en Suisse et enseigne l'histoire de la culture russe à l'Université de Saint-Gall.
En septembre dernier, la chargée de cours expliquait à Blick comment fonctionne la propagande télévisée russe. «En Union soviétique, les médias avaient pour mission de redresser brutalement l'opinion du peuple par des injonctions à la pensée. Mais la Russie moderne ne peut plus se le permettre. La propagande est beaucoup plus en filigrane et diversifiée qu'auparavant. En fin de compte, elle sert toujours le narratif principal: l'Occident est méchant et veut nous détruire», confie-t-elle de son expérience.
La propagande vise à créer un sentiment d'insécurité chez les citoyens russes
Les déclarations actuelles des propagandistes à la télévision russe la préoccupent particulièrement. Toutefois, l'experte ne craint pas une attaque imminente de la Russie contre l'Occident. Elle s'inquiète plutôt pour le peuple russe. Elle s'explique: «Ces nombreux récits alimentent divers scénarios.» L'objectif est de «créer une situation dans laquelle l'individu lambda a un sentiment d'insécurité et n'arrive plus à se faire confiance pour juger lui-même le monde extérieur. En d'autres termes, la situation est présentée comme tellement complexe qu'elle donne le sentiment que seule une personne au pouvoir est compétente pour la juger.»
La propagande d'Alexeï Chouravliov et des autres présentateurs est typiquement orientée vers l'intérieur. Elle vise à détourner l'attention des autres problèmes de politique interne en Russie. En somme, l'objectif est de donner un sentiment de sécurité en vue des élections présidentielles de 2024. Si le gouvernement actuel sait ce qu'il fait et nous protège, alors nous devrions le réélire, estime Gulnaz Partschefeld.
Des termes de la Seconde Guerre mondiale répétés
Mais contre toute attente, les déclarations de guerre à l'image de celle du député de la Douma sont manifestement bien accueillies par la population. Et ce, pour une bonne raison. «Montrer que la Russie est sur la bonne voie: tel est le sentiment que souhaite susciter ce genre d'émission», analyse l'intervenante. En l'occurrence, la bonne voie n'est autre que la destruction de l'Occident.
Pour s'assurer de cela, les propagandistes n'hésitent pas à utiliser des termes propres à la Seconde Guerre mondiale. Les Ukrainiens sont qualifiés de nazis et de fascistes, le gouvernement ukrainien de régime de Kiev. Les Britanniques sont appelés Anglo-Saxons, et l'opposition russe devient la cinquième colonne.
Selon Gulnaz Partschefeld, cette vision existe depuis bien longtemps dans les mentalités et contribue à tenir en haleine le peuple. «L'histoire russe dans son ensemble se résume à une lutte éternelle contre les pays occidentaux.» Une vision qui, in fine, prévaut toujours au sein de la population russe: «Il y a nous, et il y a le méchant Occident.»
L'Occident ne manque pas de détermination
Soit. Mais arriverons-nous réellement à une situation de guerre? Les experts n'arrivent pas encore à se prononcer sur la question. Le docteur en sciences politiques à l'Université d'Oslo Fabian Hoffmann tire la sonnette d'alarme. Le spécialiste du nucléaire appelle l'Occident, qu'il trouve trop passif, à agir vite. «Nous sommes beaucoup plus proches d'une guerre avec la Russie que la plupart des gens ne le pensent, écrit-il dans un article sur X. Nous avons au mieux deux ou trois ans pour rétablir la dissuasion vis-à-vis de la Russie», alerte l'expert.
Toutefois, Fabian Hoffmann ne pense pas que la situation évoluera vers une confrontation directe. Poutine sait qu'il est inférieur à l'OTAN en termes de forces, rappelle l'intervenant. «Selon la doctrine, la Russie tenterait plutôt de forcer l'OTAN à se soumettre en menaçant de causer des dommages toujours plus importants.»
Le politologue allemand Liviu Horovitz n'est pas de cet avis. Il conteste ces propos sur X: «Si le fait de faire peur aux gens les fait réfléchir davantage, tant mieux. Mais la guerre actuelle en Ukraine ne confirme en rien ces suppositions.» Et de poursuivre: «L'Occident n'a pas montré de signes de manque de détermination. Même si Fabian Hoffmann a probablement raison dans le fond, le problème concernant une potentielle guerre avec la Russie est lié, selon moi, à l'insouciance, et non à la détermination de l'Occident.»
Une ligne rouge à ne pas dépasser
Les bruits de sabre en provenance de Russie doivent donc être pris au sérieux. Un récent rapport publié par «Bild» le montre: le bureau de presse de Sergueï Mironov, proche de Poutine et président du parti «Russie juste – Patriotes – Pour la vérité», a menacé l'Occident après avoir pris connaissance du document secret de l'Allemagne.
Toute tentative de conquête du territoire russe fera l'objet des représailles. Une limite que l'Occident ne doit pas franchir. «Si cette ligne rouge venait à être dépassée, la Russie serait obligée de prendre des sanctions contre l'Occident, peut-on lire. En tant que puissance nucléaire, la Russie utilisera toutes les forces et tous les moyens disponibles pour défendre son territoire», avertit Sergueï Mironov.